L'or de Poséidon
à mon frère qui y avait laissé sa peau.
Censorinus reprit le contrôle de lui-même.
— Ton frère avait l’air de savoir ce qu’il faisait. On a tous cotisé pour l’achat du stock, et il nous a promis de gros intérêts.
— Alors je suppose que l’embarcation a coulé. Je suis désolé pour lui et pour vous, mais je n’y peux rien. Sans ça, vous auriez reçu votre argent il y a belle lurette. Mon frère était un drôle de luron, mais il n’a jamais cherché à escroquer personne.
Le soldat garda les yeux fixés sur la table.
— Festus a bien dit que le bateau avait coulé.
— Pas de chance. Mais au nom des dieux, pourquoi vous en prendre à moi ?
Le légionnaire ne croyait pas que le bateau avait coulé. C’était évident. Mais sa loyauté envers mon frère était encore suffisante pour qu’il n’ose pas le dire carrément.
— Festus nous a dit de ne pas nous inquiéter, que nous ne perdrions rien, qu’il avait un moyen de nous rembourser.
— C’est impossible. Si la cargaison a été perdue…
— Je ne fais que te répéter ce qu’il nous a dit !
— Très bien. S’il l’a dit, c’est qu’il pensait pouvoir le faire. Vous étiez ses copains, et en aucun cas il vous aurait raconté des bobards.
— Il n’avait pas intérêt !
Censorinus était incapable de se montrer raisonnable, même quand j’étais d’accord avec lui.
— Mais le plan qu’il avait échafaudé pour pallier cette perte devait supposer d’autres opérations commerciales. Et je ne suis au courant de rien. Je suis surpris que tu essayes de me faire marcher comme ça.
— Il avait un associé, ronchonna le légionnaire.
— C’était pas moi !
— Je sais.
— Festus t’a dit qui c’était ?
— Non, c’est ta mère qui m’a mis au courant.
Je n’ignorais pas qui était l’associé de mon frère. Je ne voulais rien avoir à faire avec lui, et ma mère encore moins. Il s’agissait de mon père qui avait abandonné sa famille des années auparavant. Mais si Festus avait gardé des liens avec lui, M’an refusait en général de prononcer son nom. Alors pourquoi avait-elle parlé de lui à ce légionnaire, un parfait inconnu ? Il avait fallu qu’elle soit très anxieuse. Et je commençais aussi à me faire un sacré mouron.
— Tu as répondu toi-même à ta question, Censorinus. Tu dois discuter affaires avec l’associé de mon frère. Tu l’as vu ? Qu’est-ce qu’il a à dire sur le sujet ?
— Pas grand-chose !
J’étais loin d’en être surpris. Mon père ne nous était jamais d’aucun secours.
— Eh bien, je crois qu’on s’est tout dit. Je ne sais rien de cette histoire. Sa mort nous prive de sa joyeuse présence, et elle va te priver de ton argent, j’en ai bien peur.
— C’est inacceptable, Falco !
Il y avait soudain du désespoir dans sa voix, et il bondit sur ses pieds.
— Allons, calme-toi !
— Il faut absolument qu’on récupère cet argent !
— Écoute, désolé, mais c’est le destin. Même si Festus n’avait pas perdu sa cargaison et qu’il y ait un bénéfice à faire, n’oublie pas que je suis son héritier et le premier de la queue.
Censorinus m’attrapa par le devant de ma tunique pour me soulever de mon siège. Je m’y m’attendais plus ou moins. Je lui jetai mon bol de ragoût au visage et me dégageai de sa prise d’un revers de bras. En me levant, je repoussai la table vers lui pour pouvoir bouger. Le serveur laissa échapper un couinement de protestation. Le coude sur lequel il s’appuyait glissa, et il se retrouva le bras plongé jusqu’à l’épaule dans un chaudron plein d’un truc bizarre en sauce. Le chat s’éclipsa en miaulant.
Censorinus me décocha un coup que je parvins à éviter. L’inutilité de cette bagarre me consternait. Mais comme il m’attaquait pour de bon, je fus bien obligé de me défendre. Pour éviter de prendre des coups qui ne lui étaient pas destinés, Epimandos sauta sur un comptoir. Les autres clients nous encouragèrent bruyamment. La lutte fut courte. Je l’emportai. Je parvins à jeter le soldat dans l’allée. Il se releva et s’éloigna en marmonnant.
La paix se rétablit immédiatement dans la caupona. Epimandos s’essuya le bras avec un chiffon.
— Qu’est-ce que tout ça veut dire ?
— Jupiter seul le sait !
Je lui jetai quelques pièces pour régler mon addition et me dis que le mieux était de rentrer à la maison.
En partant, je vis
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