L'Orient à feu et à sang
ville d’incroyants tombe aux mains de l’armée des vertueux.
— Arrête de te rouler par terre et fais attention à ce que tu dis. Ne t’avise pas de pousser notre patience à bout, répliqua Ballista d’une voix sans appel.
Contrairement à ce que laissait penser le ton sec qu’il avait adopté, Ballista était en fait satisfait de son esclave perse. Comme il l’avait espéré, il apprenait beaucoup sur ses ennemis grâce au jeune homme. Il y avait cette ferveur religieuse grandiloquente liée à la vénération du roi et le fait que Bagoas n’eût même pas trouvé bon de mentionner l’infanterie sassanide. Cela laissait une armée de fanatiques dont seule la cavalerie était apte à combattre. Ballista n’avait plus qu’à espérer que le jeune Perse fut représentatif de ses compatriotes.
Tandis que le jeune homme se levait, il mit brièvement ses bras derrière le dos, comme s’il était attaché. Ballista savait que c’était là le geste de supplication des Perses – le garçon implorait peut-être Shapur de ne pas le réprouver d’être l’esclave de ses ennemis.
Le sacrifice ayant été fait, on vit Shapur donner des ordres au noble qu’on appelait le Suren. Lorsqu’on le lui demanda, Bagoas expliqua que le Roi des Rois allait maintenant envoyer le Suren auprès de Ballista. Si lui et ses hommes se soumettaient et consentaient à suivre la vertueuse voie de Mazda, ils auraient la vie sauve.
Tandis qu’il regardait le Suren juché sur son cheval se diriger vers lui au pas, les pensées de Ballista s’emballèrent. Lorsque le cavalier ne fut plus qu’à deux cents pas, Ballista se hâta de transmettre ses ordres à deux de ses messagers. Toutes les balistes sur la muraille ouest devaient être parées à tirer sur l’armée ennemie. Elles devaient opter pour la trajectoire la plus élevée, comme pour atteindre leur portée maximale, mais les balistaires devaient desserrer les ressorts de torsion de deux tours afin que les projectiles retombassent bien avant. Avec un peu de chance, cela tromperait l’ennemi quant à la portée réelle des balistes. Les messagers coururent sur les chemins de ronde, l’un vers le sud, l’autre, celui qui parlait avec un accent de Subura prononcé, vers le nord. Le Suren n’était plus qu’à une centaine de pas lorsque Ballista demanda à Mamurra de descendre au premier étage de la tour et de braquer l’un des scorpions sur le messager qui s’approchait. Sur l’ordre de Ballista, un trait devait être tiré juste au-dessus de la tête du Suren.
Il montait un superbe étalon niséen [71] , d’un noir de jais, au puissant poitrail, ne mesurant pas moins de cinq pieds et demi au garrot. « Une chance que nous ayons eu maille à partir avec la cavalerie légère », pensa Ballista. Cheval Pâle n’aurait jamais pu repousser pareille bête sur ses jarrets.
Le Suren tira sur la bride. Il s’était arrêté à environ trente pas de la porte. Ballista était soulagé. Le noble devait avoir découvert deux des pièges que Ballista avait tendus. Il avait évité deux fosses sur la route, l’une à cent pas, l’autre à cinquante. Elles étaient dissimulées à la vue, bouchées par des planches et recouvertes d’une épaisse couche de sable, mais le bruit des sabots de son étalon devait l’avoir mis en garde. Pourtant, il ne savait encore rien de la dernière fosse, la plus importante, située à vingt pas de la porte.
Le Suren retira lentement son haut casque en forme de rapace, peut-être un aigle. Les traits de son visage, une fois découverts, n’en différaient pas énormément. Avec l’assurance d’un homme ayant hérité de générations d’ancêtres d’innombrables terres, il leva les yeux vers les hommes postés sur les remparts.
— Qui commande ici ?
Le Suren parlait le grec presque sans accent. Sa voix portait loin.
— Je suis Marcus Clodius Ballista, fils d’Isangrim, Dux Ripæ. C’est moi qui commande ici.
Le Suren pencha légèrement la tête de côté, comme pour mieux étudier ce Barbare blond au nom et au titre romain.
— Shapur, le Roi des Rois m’envoie te dire de faire chauffer l’eau et de lui préparer son repas. Il prendra son bain et dînera dans sa ville d’Arété ce soir.
Ballista rit à gorge déployée.
— Je suis sûr que la petite putain qui te sert de kyrios adorerait prendre un bain et offrir son cul au tout-venant, mais je crains que l’eau soit trop chaude et mes soldats trop
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