L'Orient à feu et à sang
passablement roussi, et leur promit une récompense. Il demanda à Demetrius d’en prendre note. Le jeune Grec était tout pâle.
Comme Ballista s’y attendait, le cadavre était tordu, ratatiné, sans plus de cheveux ni de vêtements ; les traits de son visage avaient fondu. Il était totalement méconnaissable ; la seule chose que l’on pouvait dire était que cela avait été un homme de petite taille. L ’optio avait raison : il en émanait une écœurante odeur de porc grillé. Comme à Aquilée. Une pelle militaire au manche brûlé sortait de sa jambe.
— Vous avez trouvé quelque chose d’intéressant sur le corps ?
— Rien, Dominus.
Ballista s’accroupit près du cadavre, réprimant des haut-le-cœur. L’épée de l’homme était une spatha militaire réglementaire. Cela ne voulait pas dire grand-chose. On en trouvait beaucoup sur le marché. Les semelles de ses bottes n’étaient pas cloutées, mais c’était le cas de celles de nombre de soldats.
— Tu avais raison. Ce n’était pas un soldat.
Ballista sourit.
— Rien ne peut persuader un soldat de retirer de son ceinturon ses décorations et ses amulettes. Et, à part la boucle, il ne reste rien de son ceinturon.
Il montra une boucle ordinaire en forme de poisson.
— Ce n’était pas un soldat, c’est sûr !
On entendit des raclements de gorge. Un peu plus loin, Demetrius vomissait tripes et boyaux.
— Qu’est-ce qui a pu pousser un homme à faire une chose pareille ? demanda le jeune optio.
Ballista secoua la tête.
— Je n’arrive même pas à l’imaginer.
Tout le monde attendait le lever du soleil. Déjà, le ciel à l’est prenait une teinte mordorée. Il soufflait une brise du sud, fraîche et régulière. Des canards survolaient l’Euphrate. L’odeur du pain qui cuisait embaumait la ville.
Si l’on ne regardait pas trop loin ou si l’on gardait les yeux fixés sur les cieux, on pouvait imaginer que la paix régnait sur Arété.
Un seul regard par-dessus les remparts suffisait à dissiper toute illusion pacifique. Bien sûr, au fur et à mesure que le jour se levait, le désert à l’ouest se parait de vert. Des herbes folles et des fleurs sauvages émergeaient de chaque petit creux. Les oiseaux chantaient. Mais au-delà, la jolie scène printanière était comme barrée par une ligne sombre s’étendant sur un bon millier de pas. Les assiégeants sassanides se tenaient épaule contre épaule. Trente ou quarante rangées, c’était impossible à dire. Au-dessus de leurs têtes, le vent du sud faisait claquer leurs bannières : des serpents, des loups, des ours, des flammes stylisées, des symboles abstraits de vertu, de Mazda.
Derrière les hommes se dressaient les instruments guerriers. Des mantelets de siège, de hauts boucliers montés sur roues étaient déployés sur presque toute la longueur de la ligne de soldats. On distinguait ça et là les cadres de bois des balistes ; un œil perçant en comptait une bonne vingtaine. Et puis, largement espacée derrière les lignes ennemies, la silhouette caractéristique des trois « Conquérantes des villes », les hautes, si hautes tours de siège.
Ballista ne pouvait s’empêcher d’être impressionné. Cela faisait tout juste sept jours que les troupes perses étaient arrivées devant les murs d’Arété. Elles n’avaient rien trouvé d’utilisable : pas de bois de construction à des milles à la ronde, les hommes de Ballista y avaient veillé. Et pourtant, cela n’avait servi à rien. Les Sassanides avaient emporté avec eux tout ce dont ils avaient besoin. Ils avaient réussi à transporter en amont du fleuve tous les éléments préfabriqués de leurs engins de siège. Pendant six jours, ils avaient travaillé. Et aujourd’hui, au septième jour, ils étaient prêts. Il ne l’aurait reconnu devant personne et ne le concédait que malgré lui, mais Ballista était inquiet. Ces Sassanides ne ressemblaient pas aux Barbares qu’il avait combattus jusqu’à alors. Goths, Sarmates, Hiberniens ou Maures, aucun n’aurait pu accomplir cela et assiéger une ville avec tant de détermination.
Ballista et les assiégés n’étaient pas restés inactifs pendant les sept jours qui suivirent le raid. Si l’incursion de Turpio ne s’était pas soldée par la mort de Shapur, elle pouvait cependant être considérée comme un succès. Les Romains n’avaient essuyé que des pertes légères. Cinq soldats manquaient à l’appel dans
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