L'Orient à feu et à sang
grand historien grec Hérodote avait tort. » Comment le kyrios pouvait-il prêter foi à ces balivernes ? Zoroastre, le fondateur de cette religion perse, était souvent considéré comme un sage, mais les pseudo-enseignements qu’il entendait maintenant n’étaient que superstition et charlatanisme.
Ballista continuait :
— Il avait certes raison de dire que l’éducation d’un garçon perse ne consistait qu’à apprendre à monter à cheval, à tirer à l’arc et à ne pas mentir, mais il s’est mépris sur le sens de cette dernière partie. Apprendre à ne pas mentir ne veut pas dire qu’un Perse ne prend jamais de libertés avec la vérité, n’altère jamais la réalité, ne serait-ce qu’un petit peu. En fait, c’est un précepte religieux qui veut que l’on doive se détourner du « mensonge », c’est-à-dire du mal et des ténèbres.
Bagoa acquiesçait frénétiquement ; Demetrius, quant à lui, serrait les dents.
— Et le « mensonge », c’est le démon Ahriman, engagé dans un combat perpétuel avec le dieu Mazda, qui est lumière, et que l’on représente par vos feux de bahram sacrés. Et dans le combat final, Mazda l’emportera, alors le sort de l’humanité sera heureux… Mais qu’est-ce que tout cela donne dans cette vie ?
— Nous devons tous combattre Ahriman de toutes nos forces.
— Et cela inclut le roi Shapur ?
— Shapur plus que tout autre. Le Roi des Rois sait que c’est la volonté de Mazda que, tout comme le vertueux Mazda combat le démon Ahriman, le vertueux Shapur doive combattre dans ce monde tous les souverains corrompus et incroyants.
Une lueur de conviction et de défi éclaira le regard de Bagoa.
— Donc les guerriers sont bien vus par Mazda ? demanda Maximus, qui jusqu’à maintenant était resté assis les yeux fermés, donnant l’impression d’être complètement assommé par sa gueule de bois.
— Sachez que les Aryens forment un corps. Les prêtres en sont la tête, les guerriers en sont les mains, les fermiers, le ventre, et les artisans, les pieds. Lorsque les incroyants menacent les feux de bahram , le guerrier qui ne combat pas et s’enfuit est margazan. Celui qui combat et qui meurt est béni.
— Margazan ?
— Quelqu’un qui commet un péché puni de mort.
— Béni ?
— Quelqu’un qui va directement dans le premier des paradis.
Cela se passa cinq nuits plus tard, la toute dernière de leur voyage, au milieu de la nuit, peut-être au troisième quart. Ballista était étendu sur le dos, immobile. Son cœur battait à tout rompre et il suait abondamment. Il y eut encore une fois ce bruit à la porte. Sachant déjà ce qu’il verrait, il se força à regarder. La petite lampe à huile en terre était en train de s’éteindre, mais elle diffusait encore assez de lumière pour éclairer la petite cabine.
L’homme était immense, de taille comme de carrure. Il portait un caracallus [34] miteux rouge foncé dont le bout de la capuche relevée touchait le plafond. Il se tenait au pied du lit sans dire un mot. Son visage était pâle, même dans l’ombre de la capuche. Ses yeux gris brillaient de malfaisance et de mépris.
— Parle, dit Ballista, bien qu’il sût ce qu’il allait entendre.
En latin, avec l’accent du Danube, l’homme dit :
— Je te reverrai à Aquilée.
Rassemblant son courage comme il l’avait fait de nombreuses fois auparavant, Ballista répondit.
— À bientôt, donc.
L’homme fit volte-face et s’en alla et, longtemps, très longtemps après, Ballista s’endormit.
Le tangage ainsi que les odeurs mêlées de bois, de suif et de résine l’éveillèrent : il se trouvait en sécurité dans sa petite cabine douillette à bord du Concordia , sur le point d’entamer sa dernière journée en haute mer avant d’atteindre la destination finale de la trirème, le port de Séleucie de Piérie. Il sentait, sans en avoir pleinement conscience, que le vent venait de l’ouest, battant le flanc du Concordia tandis qu’il filait vers le nord, le long des côtes syriennes. Émergeant peu à peu de son sommeil, il se demanda si Priscus maintenait le navire suffisamment au large, assez pour lui permettre de doubler le promontoire du Mont Cassios.
Soudain, toute sensation de bien-être l’abandonna. Les vagues appréhensions qu’il nourrissait dans un coin de son cerveau fusionnèrent en une vision horrible. « Foutre ! Et moi qui croyais en avoir fini avec lui. »
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