L'Orient à feu et à sang
lui a volé quelque chose, même si ce n’est pas de l’argent, dit Ballista en montrant le baudrier ouvragé. Voyez – ici et ici, deux paires de cordons ont été coupées. Ceux-là étaient attachés à sa bourse.
Les extrémités coupées qu’il tenait coïncidaient avec celle de la bourse. Il ramassa les autres cordons.
— Et à ceux-ci pendait…
— Une tablette à écrire, dit Turpio. Il avait toujours une tablette à écrire sur lui, accrochée à sa ceinture. Il était toujours en train de jouer avec. (Un sourire sarcastique se dessina sur son visage.) Il l’ouvrait sans arrêt pour y faire des additions, inscrire des chiffres.
— L’a-t-on retrouvée ? demanda Ballista.
Le centurion Lucius Fabius secoua la tête.
— Qu’on aille me chercher de l’eau et une serviette.
Ballista ne se retourna pas, mais entendit quelqu’un s’en aller. « Père-de-Tout, le pouvoir me corrompt », pensa-t-il. « Je donne des ordres et j’attends qu’ils soient exécutés. Je ne sais même qui les exécute et je ne m’en soucie guère. La corruption par le pouvoir est aussi patente que la corruption de ce cadavre. »
S’armant de courage et luttant contre sa répulsion, Ballista agrippa à deux mains le corps en décomposition et le retourna face contre terre. Il résista à l’envie de s’essuyer les mains. La vie dans l’ impérium lui avait appris à ne pas montrer ses faiblesses.
— Bon, au moins, on peut facilement imaginer la manière dont il a été tué.
Ballista montra une blessure béante sur le côté de la face postérieure de la cuisse gauche de Murcianus.
— Voilà ce qui l’a fait tomber. Il tournait le dos à son tueur ; peut-être s’enfuyait-il. Un coup d’épée asséné par un droitier et, à en juger par la taille de la blessure, probablement une épée militaire, une spatha.
On posa par terre un broc d’eau et une serviette. Ballista se déplaça pour observer l’arrière de la tête de Mucianus, ou plutôt ce qu’il en restait. La bouillie gélifiée de chairs et de cervelle était entièrement noire. Du liquide suintait. Les blessures ressemblaient à du goudron et en possédaient les reflets iridescents. Ballista en avait la nausée. Il se força à verser de l’eau sur les blessures et à les laver de ses mains nues.
— Cinq, six, sept… au moins sept coups d’épée portés à l’arrière de la tête. Très probablement la même épée. C’est ce que tous les maîtres d’armes voudraient nous voir faire – amener l’adversaire au sol en le blessant à la jambe, et pendant qu’il est à quatre pattes, l’achever en le frappant à la tête autant de fois que c’est nécessaire, en lui assénant le plus de coups possible dans le temps dont on dispose.
Ballista sut gré à son scribe, celui à l’accent punique, de lui verser de l’eau sur les mains. Il le remercia et prit la serviette.
— Qui l’a trouvé ?
Le centurion fit signe à un légionnaire de s’avancer.
— Gaius Aurelius Castricius, soldat du vexillatio de Legio IIII Scythica, centurie de Lucius Fabius, Dominus. Nous ferons ce qui nous est ordonné et nous nous tenons prêts, Dominus.
— Où l’as-tu trouvé ?
— Dans l’un des boyaux de ce tunnel désaffecté, Dominus. En bas, par là.
Il montra des marches descendant vers un trou noir.
— Que faisais-tu là dedans ?
— Reçu l’ordre de fouiller tous les boyaux et galeries, Dominus.
Le légionnaire semblait vaguement embarrassé.
— Castricius avait les compétences pour effectuer ce travail, intervint son centurion. Parce qu’il avait eu une expérience conséquente des souterrains avant de prêter le sacramentum, le serment militaire.
Le légionnaire était maintenant dans ses petits souliers. Personne ne descendait dans les mines de son plein gré. Lorsqu’il était civil, Castricius avait dû se rendre coupable d’un grave délit pour y avoir été contraint.
— Bon, eh bien ! Montre-moi où tu l’as trouvé, Castricius.
Ballista demanda à Maximus de l’accompagner et à tous les autres de l’attendre en surface, puis suivit le légionnaire. Ils s’arrêtèrent devant l’entrée du tunnel pour allumer des lampes et s’accoutumer à la pénombre. Le soldat parlait de la pluie et du beau temps. Ballista ne l’écoutait pas : il priait.
Ce souterrain était pire, bien pire, que l’autre. Le sol y était plus inégal et glissant. On comprenait pourquoi il avait été
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