Louis Napoléon le Grand
1848. A quinze ans, je croyais conspirer avec Falco... et mon livre de chevet était Mes prisons de Silvio Pellico... Le Prince, dans sa prison avait écrit un ouvrage sur l'extinction du paupérisme qui m'avait passionnée; nous cherchions le moyen de mettre sa théorie en pratique et nous rêvions de travailler au bonheur des peuples et d'améliorer le sort des ouvriers. »
Ces propos ne sont pas de simple convenance. Ils permettent de mieux comprendre un personnage qui vaut certainement mieux que ce que la postérité a cru devoir retenir.
Faut-il rappeler aussi qu'à l'âge de douze ans c'est sur lesgenoux de Stendhal, qu'elle appelle Monsieur Beyle, et dont elle aurait dit qu'il avait été le premier homme à « faire battre son coeur », qu'elle a appris la saga napoléonienne? Et que plus tard, beaucoup plus tard, elle prit parti pour la cause de Dreyfus?
Sincèrement passionnée par les questions sociales, Eugénie n'hésite pas, quand il le faut, à aller sur le terrain. Elle y montre même du courage comme pendant les années terribles de 1865 et 1866 où, en pleine épidémie de choléra, elle visite en personne les malades, tant à Paris qu'à Amiens. De même, elle consacre beaucoup d'efforts à l'amélioration du sort des jeunes détenus dont elle obtient qu'on les envoie désormais en colonies agricoles, pendant que, de son côté, Louis Napoléon impose la suppression du bagne.
C'est avec beaucoup de simplicité, et de sincérité aussi, qu'elle explique les raisons de son engagement: « Si le doigt de la Providence m'a marquée d'une place si élevée, c'est pour servir de médiatrice entre ceux qui souffrent et celui qui peut y porter remède. »
Il existe un autre domaine où Eugénie donna sa pleine mesure, c'est celui de l'action en faveur des femmes. Car elle était une féministe convaincue et résolue. Et rien ne l'arrêta dans cette voie, pas même les réticences manifestes de l'Église à laquelle on la disait pourtant si soumise... Elle soutint énergiquement Victor Duruy, le sulfureux ministre de l'Instruction publique, que le pape et Mgr Dupanloup vouaient aux gémonies, quand il fit progresser la situation des filles dans l'enseignement primaire, quand il présenta son projet d'enseignement secondaire féminin, et quand il voulut faire entrer les femmes à la Sorbonne. En 1862, elle s'était battue pour qu'une jeune institutrice, Julie Victoire Daubié, dont — circonstance aggravante — les idées passaient pour fort avancées, puisse se présenter au baccalauréat.
Elle ne s'en tint pas là.
Affichant son soutien aux personnalités féminines les plus en vue de l'époque, elle apporta son appui personnel à George Sand, s'opposant à la suspension du journal où celle-ci faisait paraître en feuilleton un violent pamphlet antipontifical. Elle exprima même le voeu public de la voir élue à l'Académie française... plus d'un siècle avant que les Quarante ne se décident à y accueillir Marguerite Yourcenar.
Bien qu'elle ait tout fait pour cela, elle ne parvint pas àobtenir la création d'une décoration spéciale en faveur des femmes émérites, mais s'accorda une revanche en profitant de sa régence pour attribuer, de son propre chef, la Légion d'honneur au peintre Rosa Bonheur. Elle soutint aussi par des commandes officielles le sculpteur Adèle d'Affry,alias Marcello, qui défrayait pourtant la chronique, tant le métier qu'elle exerçait, fort avant Camille Claudel, passait alors pour réservé aux hommes.
Et comment omettre l'hostilité de l'impératrice aux poursuites dont, en 1857, avait fait l'objet l'auteur des Fleurs du mal, la supplique que lui avait alors adressée Baudelaire s'étant traduite par la réduction à un niveau symbolique de l'amende infligée à celui-ci?
Telle était Eugénie, dont la personne et le rôle furent pourtant si décriés. Sans doute montra-t-elle parfois trop de raideur en cherchant à se montrer digne de son rang. Il reste qu'on lui attribue une influence probablement plus grande que celle qu'elle exerça; qu'elle ne fit pas toujours preuve d'une grande constance de vues; qu'elle prêtait trop aisément le flanc à la critique. Les reproches qui lui furent adressés n'étaient pas totalement dénués de fondement. Mais sa personnalité était à la fois plus complexe et plus attachante qu'on ne le croit.
Émile Ollivier, qui l'a très bien connue, a observé qu'à tout prendre son principal handicap fut son innocente
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