Louis Napoléon le Grand
insinué quelques mauvaises langues, à passer par la chapelle parce que c'était le chemin obligatoire de la chambre à coucher?
Là-dessus, les avis divergent. Mais ce sont paradoxalement les ennemis d'Eugénie qui vont précipiter sa fortune. Lors d'une réception, le 1 er janvier 1853, la femme d'un ministre l'humilie en public. Tout de go, elle annonce à Louis Napoléon que, n'en pouvant supporter davantage, elle va quitter Paris.
Le lendemain, la voilà avec une demande en mariage, en bonne et due forme. Dès que la nouvelle est connue, c'est la tempête. Si Morny, habilement, se range dans le camp — quasi désertique — de la jeune duchesse, Persigny, lui, s'insurge et fait grand tapage. Napoléon Jérôme, qui l'avait trouvée « grotesque », décrète qu'« on n'épouse pas Mademoiselle de Montijo ». Le ministre des Affaires étrangères, Drouyn de Lhuys, parle de démission. Mathilde fait à l'empereur une scène mémorable : « Dès lors que vous n'épousez pas une Française, vous ne pouvez entrer que dans une maison souveraine. »
Hugo, de son exil, exulte: « Il faut se presser, car le Bonaparte me fait l'effet de se faisander. Il n'en a pas pour longtemps. L'Empire l'a devancé, le mariage Montijo l'achève. »
Rien n'y fait, Louis Napoléon ne se laissera pas fléchir. D'autant que c'est pour lui une manière d'exprimer une nouvelle fois sa fidélité à sa mère, qui — Valérie Mazuyer nous l'assure — lui avait fait jurer quelques jours avant sa mort de ne se marier que selon son coeur.
Louis Napoléon va même, crânement, braver l'orage. Il convoque le 22 janvier le ban et l'arrière-ban du régime — Conseil d'État, Sénat et Corps législatif — pour s'expliquer. Le discours qu'il prononce, pour présenter — et justifier — son choix, est de haute tenue. Au moins autant que l'empereur, c'est Louis Napoléon qui parle:
Il le reconnaît d'entrée: « L'union que je contracte n'est pas d'accord avec les traditions de l'ancienne politique. » Mais il précise aussitôt: « C'est là son avantage. »
Ayant expliqué pourquoi il s'était écarté « des précédents suivis jusqu'à ce jour », faisant de son mariage une affaire privée, il a ces mots restés célèbres dont l'humilité provocante confine à l'orgueil : « Quand, en face de la vieille Europe, on est porté par la force d'un nouveau principe à la hauteur des anciennes dynasties, ce n'est pas en vieillissant son blason et en cherchant à s'introduire, à tout prix, dans la famille des Rois qu'on se fait accepter. C'est bien plutôt en se souvenant toujours de son origine, enconservant son caractère propre et en prenant franchement vis-à-vis de l'Europe la position de parvenu, titre glorieux lorsqu'on parvient par le libre suffrage d'un grand peuple. »
Huit jours après, par très beau temps, c'est la cérémonie à Notre-Dame. Tout est allé très vite. Mais pourquoi aurait-on attendu? Et la France découvre son Impératrice.
Les premiers moments d'éblouissement passés, Eugénie ne va pas tarder, après une période d'indifférence polie, à connaître l'impopularité. Une impopularité qui sera nourrie successivement de griefs contradictoires, ainsi que le racontera plus tard, très lucidement, l'intéressée elle-même : « Au début du règne, je fus la femme futile ne s'occupant que de chiffons et vers la fin de l'Empire, je suis devenue la femme fatale qu'on rend responsable de toutes les fautes et de tous les malheurs! Et la légende l'emporte toujours sur l'Histoire. »
Elle qui avait tant souhaité échapper au destin de Marie-Antoinette ou de Marie-Louise, elle qui avait été choisie contre la raison d'État, voilà qu'on la présente comme « l'Espagnole », de la même façon que chacune des deux autres s'étaient entendu appeler tour à tour « l'Autrichienne ». Voilà aussi qu'on la fait passer — nouvelle invention — pour une bigote, voire une ultramontaine, alors que — comme l'a si justement remarqué William Smith — elle partagea bien souvent les vues de son époux, y compris, finalement, sur la question romaine, et qu'on ne saurait confondre la conduite irréprochable d'une femme bafouée avec un quelconque engagement clérical.
Si réservée qu'elle soit, elle a parfois livré le fond de son âme, par exemple lorsqu'elle confie : « L'Empereur et moi, nous appartenions à la même génération d'exaltés; il y avait dans nos deux natures du romantisme de 1830 et de l'utopisme de
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