Louis Napoléon le Grand
collègues à la cause de son cousin.
Las! Si brillante qu'elle soit, l'intelligence de Napoléon Jérôme est beaucoup plus négative que constructive. Lui-même est inconstant et fantasque. Et ses initiatives sont imprévisibles.
Finalement, il gênera l'empereur plus qu'il ne l'aidera: la jalousie peut expliquer son comportement. Visiblement, il a du mal à se persuader que Louis Napoléon n'occupe pas une place qui devrait être la sienne, lui dont la ressemblance physique avec Napoléon I er est si frappante... Cette jalousie ne se dissimula souvent qu'imparfaitement, notamment lors de la naissance du prince impérial.
Au point que, pour un moment, Louis Napoléon l'écartera même explicitement de la succession, en s'ouvrant très franchement de ses griefs à son oncle : « Votre fils, lui explique-t-il, ne fait rien pour mériter une si haute destinée. Il croit qu'en voyant des personnes tarées, en entretenant des correspondances dans les départements avec des démagogues connus, il réserve les chances de l'avenir. Il montre son peu de jugement. Aussi, je vous le dis avec franchise : tant que votre fils ne se sera pas rendu digne de gouverner la France, il ne sera pas compris dans l'hérédité. »
C'est que, là où Louis Napoléon, dans un souci de réalisme et d'efficacité, cherche à ménager les transitions, à adapter le rythme de son action aux possibilités de l'heure, son cousin ne rêve que plaies et bosses, ruptures et imprécations.
Louis Napoléon se força néanmoins à lui confier des commandementsmilitaires en Crimée et en Italie, où la combinaison de ses qualités et de ses défauts ne lui valut pas mieux qu'une franche impopularité, à la fois dans les milieux politiques et chez les militaires. La tentative qu'il fit de le nommer ministre des Colonies et de l'Algérie se solda par un échec. Il dut bientôt le cantonner dans quelques missions diplomatiques mineures et à la présidence... des Expositions universelles.
Du moins, Napoléon Jérôme eut-il la bonne idée d'accepter d'épouser la fille de Victor-Emmanuel et de servir — par un mariage de raison — les intérêts diplomatiques de la France. On peut aussi lui accorder le mérite d'une certaine fidélité. Suffisante, en tout cas, pour alimenter les regrets de l'empereur devant un échec aussi flagrant...
Une lettre de Louis Napoléon adressée à son cousin, après une intervention intempestive de celui-ci devant le Sénat, exprime bien l'ampleur de la déception.
« J'ai été surpris, je l'avoue, de voir combien tu rendais peu justice à ma conduite envers toi depuis douze ans et combien tu t'abusais sur la tienne... Depuis le lendemain du jour où je fus élu Président de la République, tu n'as jamais cessé d'être, par tes paroles et par tes actions, hostile à ma politique, soit pendant la Présidence, soit au 2 décembre, soit depuis l'Empire. Comment me suis-je vengé? En cherchant toutes les occasions de te mettre en avant, de te faire une position digne de ton rang, et d'ouvrir une arène à tes brillantes qualités.
« Ton commandement en Crimée, ta dotation, ton Ministère en Algérie, ton entrée au Sénat et au Conseil d'État sont des preuves évidentes de mon amitié pour toi. Ai-je besoin de rappeler comment tu y as répondu?
« En Orient, ton découragement t'a fait perdre le fruit d'une campagne bien commencée...
« Ta dotation? On a droit de s'étonner que jamais tu ne reçoives, et que jamais ton nom ne paraisse dans aucun acte de charité. Ton portefeuille en Algérie? Tu me l'as un beau jour renvoyé à cause d'un article du Moniteur. Quant à tes discours au Sénat, ils n'ont jamais été pour mon Gouvernement qu'un sérieux embarras... Je n'admettrai jamais qu'on parle au Sénat comme dans un club, jetant l'injure à la tête de tout le monde... »
Quant à Mathilde, l'Empire est pour elle une impasse, avant même d'avoir commencé.
Cette beauté massive avait un autre handicap que son physique plantureux: elle avait été, on le sait, la fiancée de Louis Napoléon et, on s'en souvient aussi, n'avait guère résisté à son père lorsque celui-ci lui avait intimé l'ordre de rompre avec le triste héros de l'équipée saugrenue de Strasbourg. Comme il arrive souvent, Mathilde en voulait davantage à Louis Napoléon... de sa propre trahison que lui-même ne songeait à lui en faire reproche.
Le mariage qui lui avait été imposé par la suite s'était révélé, il est vrai,
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