Louis Napoléon le Grand
enquête préalable poussée sur les personnes qu'on rencontrera et les problèmes qu'il faudra soulever; un soin tout particulier à créer des situations susceptibles d'alimenter la chronique; une recherche constante de la parfaite adéquation entre le lieu et le fond des discours... En ces occasions, il fait preuve de son habituelle générosité, sans ostentation. Ainsi en est-il le 26 juin 1857, quand il inaugure la gare d'Épinal. Charles Pinot, imagier d'Épinal, raconte dans une lettre au directeur de l'Illustration que l'empereur, « après avoir considéré tous ces ouvriers avec leurs figures brûlées et leurs costumes débraillés leur a fait distribuer une somme de 1 200 francs ».
Et Pinot de décrire: « [...] La gare était décorée de force drapeaux et emblèmes; feuillages et sapins, estrades couvertes de dames et de fleurs, mais surtout émaillées d'une foule de fonctionnaires de tous grades dans leurs plus brillants costumes; puis les officiers de la garnison, le conseil municipal et les pompiers, etc., etc. »
Ces fréquentes visites à la France profonde sont indispensables à Louis Napoléon : ce n'est pas à des fins égoïstes qu'il veutvérifier sa popularité, c'est pour faire pression sur ceux qui pourraient être tentés de lui résister. Il va donc sur le terrain, certes pour expliquer ses choix, mais surtout pour se donner les moyens de les faire prévaloir.
Car on ne le dira jamais assez, il a affaire à forte partie.
Ce serait en effet une erreur de considérer que le support de son cabinet suffisait à asseoir son autorité sur la marche quotidienne des affaires. Louis Napoléon n'avait qu'une médiocre connaissance des rouages de l'État, et son expérience de l'Administration était à peu près nulle. S'il avait jamais eu la volonté ou le goût d'exercer un pouvoir despotique, il n'en aurait pas trouvé les moyens.
Un jour, il eut ce cri du coeur qui en dit long sur les difficultés qu'il éprouva pour faire appliquer certaines de ses décisions : « Ce n'est pas tout de gouverner, il faut encore administrer! »
Or, à la différence de l'équipe militaire rapprochée, le cabinet civil ne sembla jamais en mesure de lui apporter les éléments de technicité nécessaires pour lui permettre, en cas de conflit ouvert, d'imposer ses vues au gouvernement d'abord, puis à l'Administration. Les ministres se servent de leur compétence technique pour dresser un rempart contre les idées et même les décisions de l'empereur. Et les domaines où la résistance s'organisera le mieux sont ceux de l'économie et des affaires sociales.
Dès lors, on en arrive à la situation paradoxale d'un empereur dont tout pouvoir procède, mais qui doit compter avec les retards, les atermoiements, et la mauvaise volonté de ceux qui sont censés lui obéir. L'autorité de Louis Napoléon ne fut donc entière que dans un « domaine réservé », sur lequel régnaient ses collaborateurs. Les options de politique générale et les affaires extérieures relevaient à l'évidence de lui. Pour le reste, il était obligé de composer, ses ministres ne se ralliant souvent que de mauvaise grâce à ses choix et se moquant de ses impatiences.
Ses ministres et non son gouvernement... Comme il ne pouvait évidemment tout contrôler et tout diriger, il avait bien fallu qu'il délègue l'exercice d'une partie de ses responsabilités à des ministres. Une dizaine. Sur l'ensemble de la période, ils seront à peine une vingtaine, au total, à accéder aux affaires. Deux fois par semaine, il les réunit en Conseil à 9 heures du matin. C'est lui qui a établi l'ordre du jour pour ce qui est davantage un Conseil privé qu'un Conseil des ministres. Il écoute, parle peu, et prend très souvent ses décisions contre leur avis.
Au moment où l'évolution libérale était déjà engagée depuis plusieurs années, l'empereur pouvait encore dire à son épouse : « Quand j'ai parlé, dans un Conseil des ministres, réuni en Conseil privé, des réformes que je voulais faire, tout le monde y a été opposé, comme toujours. Walewski seul m'a soutenu et comme toujours aussi, j'ai suivi ma pensée. »
Il est vrai que s'il connaît mal l'Administration et ses arcanes, il en sait assez sur les hommes pour ne pas ignorer que très souvent ses interlocuteurs usent de leur connaissance réelle ou supposée d'un dossier comme d'un moyen pour ne pas obéir.
Au départ, le ministère n'avait aucune existence collégiale, ni
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