Louis Napoléon le Grand
et le soleil.
« N'écoutez donc jamais ceux qui voudraient laisser pourrir sur pied la moisson mûre, ni ceux qui maudissent Dieu, parce qu'il ne leur donne pas la moisson bénie au lendemain du jour où le grain a été mis en terre. »
***
C'est le 1 er novembre qu'entre Louis Napoléon et Ollivier a lieu un entretien qui est tout près d'être décisif. Auparavant, lesdeux hommes avaient échangé une correspondance, Ollivier ayant pu expliquer à l'empereur qu'il souhaitait être appelé au pouvoir et chargé expressément de constituer autour de lui un ministère.
Les deux hommes se rencontrent à Compiègne, dans des conditions rocambolesques. Ollivier prend le train, déguisé afin de déjouer la vigilance des journalistes. Il le raconte plus tard à sa femme: « Je suis parti à 8 heures, la tête enveloppée dans un cache-nez, mes lunettes enlevées. Maurice Richard m'accompagnait, il est allé prendre mon billet pour que personne ne m'aperçût. A Compiègne, je suis sorti dans le même accoutrement. A la porte, le secrétaire de l'Empereur, Pietri, m'a donné un petit coup sur le bras; je l'ai suivi. Nous sommes montés en voiture, sommes entrés par une cour intérieure et à dix heures un quart, sans que personne m'eût aperçu, j'ai pénétré dans le cabinet de l'Empereur. Il est venu vers moi, m'a remercié de m'être dérangé, puis il a fait apporter deux tasses de thé, je lui ai servi le thé, il m'a servi le sucre, nous nous sommes assis devant la table. »
Louis Napoléon et Ollivier vont alors se jauger, sans prendre de véritables engagements. Il s'agit surtout de mesurer leurs exigences réciproques.
Louis Napoléon ne veut pas entendre parler d'une entrée au gouvernement de Girardin et de Napoléon Jérôme, qu'il considère « comme deux esprits faux ». Sur ce point, semble-t-il, il obtient des assurances. Ce n'est pas le cas lorsqu'il suggère le maintien à son poste de Forcade-Laroquette, qui est ministre de l'Intérieur dans le gouvernement intérimaire: il lui semble pourtant que cela contribuerait à rassurer les bonapartistes, et puis il ne serait pas fâché de pouvoir compter sur un libre-échangiste de poids dans la perspective du débat sur la reconduction du traité franco-anglais.
Les deux hommes se quittent sans avoir rien tranché... Mais Ollivier est désormais résolu à imposer ses conditions. Adoptant une tactique que ne désavouerait pas Louis Napoléon lui-même, il gagne sa propriété de Saint-Tropez et décide d'attendre. L'empereur lui écrit le 7: « Nous sommes bien près de nous entendre », admet-il ; bientôt il cède, en décidant de nommer Forcade au Conseil d'État.
La voie est libre. Il était temps. Car l'agitation est dans les esprits, et il faut en finir avec cette période d'incertitude. Rochefort a encore fait des siennes. Il a été emprisonné pour ses écritsdiffamatoires sur la famille impériale. A une élection partielle, le 22 novembre, il se fait pourtant élire député. Louis Napoléon décide alors de le faire libérer. C'est un geste qui ne manque pas de panache. C'est aussi une nouvelle illustration de la mansuétude qui lui est coutumière.
Le 29 novembre s'ouvre la première séance officielle de la nouvelle législature. Et Louis Napoléon s'adresse au Corps législatif. Il remarque d'abord, avec peut-être un soupçon de lassitude, « qu'il n'est pas facile d'établir en France l'usage régulier et paisible de la liberté ». Pourtant, il le confirme, telle est bien son ambition. Dans ce qui est davantage qu'une belle envolée oratoire, il annonce ce que sera la nouvelle donne constitutionnelle et politique, et procède au partage des rôles: « La France veut la liberté, mais avec l'ordre; l'ordre, j'en réponds. Aidez-moi, Messieurs, à sauver la liberté. Entre ceux qui prétendent tout conserver et ceux qui aspirent à tout renverser, il y a une place glorieuse à prendre. »
Le 26 décembre, Louis Napoléon écrit à Ollivier la lettre au libellé si longtemps attendu: « Je m'adresse avec confiance à votre patriotisme pour vous prier de me désigner les personnes qui peuvent former avec vous un cabinet homogène représentant fidèlement la majorité du Corps Législatif. »
Le 2 janvier 1870, le ministère Ollivier est en place. Il n'a probablement ni l'allure ni le dynamisme qu'aurait exigé la situation. Ollivier a le titre de garde des Sceaux, Daru est aux Affaires étrangères, Leboeuf à la Guerre,
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