Louis Napoléon le Grand
formule Daru, probablement manipulé par Thiers, de ne recourir au plébiscite, dans l'avenir, qu'après l'assentiment du Corps législatif. Dans l'immédiat, on ferait donc contre mauvaise fortune bon coeur mais, pour plus tard, le recours au plébiscite serait verrouillé, placé qu'il serait sous le régime de l'autorisation parlementaire préalable. Du coup, l'ultime prérogative de l'empereur deviendrait purement théorique, perdant sa signification politique et son caractère quasi sacramentel.
Curieusement, Napoléon Jérôme tombe dans le piège, pourtant grossier, et approuve la proposition de Daru. Une fois de plus, son cousin doit le rappeler à la raison: il n'est pas question, en cas de plébiscite, de passer d'abord devant le Corps législatif. Pour le cas où la leçon n'aurait pas encore été comprise, il lui confie: « Je sombrerai peut-être, mais debout et non pourri. »
De fait, Louis Napoléon passe outre à toutes les oppositions qui se manifestent à l'intérieur même du gouvernement. Trois ministres, Buffet, Daru, puis Talhouet, démissionnent. Rien n'y fait. Le plébiscite aura bien lieu.
Finalement, Louis Napoléon se contente d'une question relativement précise, renonçant à charger la barque. Sans doute se dit-il que ses adversaires, dans le feu de leur passion, veilleront eux-mêmes à donner à la consultation sa signification pleine et entière. C'est bien ce qui se passera.
Le texte soumis au vote est ainsi rédigé: « Le peuple approuve les réformes libérales opérées dans la Constitution depuis 1860 par l'Empereur avec le concours des grands Corps de l'Etat et ratifie le Sénatus-consulte du 20 avril 1870. » Il estaccompagné d'une proclamation de Louis Napoléon aux Français: « En apportant au scrutin un vote affirmatif, vous conjurerez les menaces de la révolution; vous assoirez sur une base solide l'ordre et la liberté, et vous rendrez plus facile, dans l'avenir, la transmission de la Couronne à mon Fils. Vous avez été presque unanimes, il y a dix-huit ans, pour me conférer les pouvoirs les plus étendus; soyez aussi nombreux aujourd'hui. »
C'est dire que Louis Napoléon place haut, très haut, la barre. Sans doute ne croit-il pas lui-même possible de parvenir à un tel résultat. En tout cas, un bon observateur de la politique de l'époque, Rémusat, estime qu'avec 5 millions de oui, 3 millions d'abstentions et 2 millions de non, l'empereur s'en sortirait fort bien. Et pourtant, très vite, il apparaît que les choses se présentent mieux, beaucoup mieux. Les républicains hésitent entre le non et l'abstention. Chez les légitimistes, c'est à peu près la même attitude, encore que bon nombre d'entre eux optent pour le oui. Chez les libéraux non bonapartistes la plus grande confusion règne: Thiers annonce son abstention, mais le démissionnaire Buffet votera oui. Oui aussi, même s'ils pensent non, pour les tenants de la vieille droite conservatrice. Quant aux bonapartistes autoritaires et aux « cent seize », ils se rejoignent pour voter oui, et vont accepter — qui l'eût cru? — de se côtoyer dans les comités électoraux. Louis Napoléon doit contempler avec satisfaction un pareil amalgame: tout lui indique que l'avenir n'est pas en train de se construire sur la négation du passé.
Une fois de plus, la campagne va se placer sous le signe de la violence. Les arguments échangés volent au plus bas. Mais les résultats dépasseront les prévisions les plus optimistes.
Après un moment d'inquiétude que provoquent les chiffres des grandes villes connus les premiers, Louis Napoléon prend conscience de l'ampleur du succès: c'est un véritable raz de marée.
Les « oui » totalisent 7 336 434 voix et les « non » 1 560 709; il y a 1 900 000 abstentions.
L'empereur peut être satisfait: « J'ai mon chiffre », dit-il. Ce chiffre, bien entendu, c'est celui de 1852. La boucle est bouclée. De son côté, Gambetta, exprimant à la fois le sentiment général et celui d'une opposition totalement décontenancée, s'écrie: « C'est un écrasement, l'Empereur est plus fort que jamais. »
Ollivier semble croire que cette victoire lui appartient. Il est bien le seul; il y a contribué, et rien de plus. Celui qui a joué etgagné, c'est Louis Napoléon. En tout cas, il est le principal bénéficiaire de l'opération.
Mais qu'Ollivier puisse penser un seul instant être l'artisan du succès suffit à accroître la vindicte de l'impératrice à son
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