Louis Napoléon le Grand
complètement changé d'allure. Jusque-là, même lorsque l'empereur était seul de son opinion — et l'on sait que cela se produisait fort souvent —, c'était son avis qui prévalait. Désormais, la voix de Louis Napoléon ne compte plus que pour une et comme, par déférence, on le laisse voter le dernier, généralement la position du Conseil est déjà arrêtée et la décision prise quand vient son tour de faire connaître son sentiment... Par ailleurs, l'empereur n'est pas maître d'un ordre du jour que les ministres arrêtent à leur guise; et des Conseils de cabinet se réunissent encore, hors de la présence du souverain.
Pourtant, Louis Napoléon est comme fortifié par les circonstances.
Il faut reconnaître que les nouveaux textes constitutionnels, souvent rédigés à la hâte, sont truffés de dispositions ambiguës ou contradictoires, donnant lieu à des discussions sans fin. Un effort de clarification s'impose. C'est l'empereur qui va en prendre l'initiative. Le 21 mars 1870, il écrit à Ollivier dans ce sens:
« Je crois qu'il est opportun [...] d'adopter toutes les réformes que réclame le Gouvernement constitutionnel de l'Empire, afin de mettre un terme au désir immodéré de changement qui s'est emparé de certains esprits et qui inquiète l'opinion en créantl'instabilité [...]. Aujourd'hui que des transformations successives ont amené la création d'un régime constitutionnel en harmonie avec les bases du plébiscite, il importe de faire rentrer dans le domaine de la loi tout ce qui est plus spécialement d'ordre législatif, d'imprimer un caractère définitif aux dernières réformes, de placer la Constitution au-dessus de toute controverse et d'appeler le Sénat [...] à prêter au régime nouveau un concours plus efficace. »
Un mois plus tard, le sénatus-consulte du 20 avril fonde ce qu'on a appelé l'Empire parlementaire. Le changement principal concerne les mécanismes de la responsabilité gouvernementale. Désormais, si l'empereur continue de révoquer les ministres, leur responsabilité peut être mise en cause devant le Corps législatif. Mais il y a aussi autre chose: le Sénat, qui devient une deuxième Chambre législative, perd du même coup sa fonction constitutionnelle. Ce point est capital: il signifie que la nation récupère le pouvoir constituant qu'elle avait jusque-là délégué; de fait, un nouvel article prévoit que « la Constitution ne peut être modifiée que par le peuple sur la proposition de l'Empereur ».
Ainsi, alors qu'on imaginait l'empereur exsangue, dépouillé, réduit à des fonctions honorifiques, voici qu'est affirmé, confirmé, exalté son lien quasi mystique avec le peuple. Un système parlementaire est mis en place, mais cela n'empêche nullement que l'homme dans lequel s'est reconnue la nation peut continuer d'entretenir avec elle un dialogue singulier, au-dessus de tous les autres pouvoirs, en particulier lorsqu'il s'agit de les organiser, voire de les contenir. Pouvait-on plus clairement signifier que l'Empire libéral — ou parlementaire — ne se faisait ni sans Louis Napoléon ni, a fortiori, contre lui?
***
L'empereur entend pousser plus loin son avantage: il veut que, sans conteste et une fois pour toutes, soit admis et reconnu que le nouveau cours des choses est le fruit de sa volonté. Quel meilleur moyen de le démontrer que de le faire dire par le peuple? C'est le peuple qui a fondé le régime en 1852. Ne convient-il pas de l'interroger à nouveau? Il faut donc un plébiscite pour avaliser les dispositions du sénatus-consulte d'avril et, tant qu'on y est, puisque telle est la règle du jeu, on s'efforcera d'élargir — sans excès — la question.
Le coup est évidemment magnifiquement joué. Tous ceux qui se figuraient pouvoir réduire Louis Napoléon au rôle de potiche ne tardent pas à prendre la mesure de leur erreur. Une fois de plus, on l'a sous-estimé.
A partir de là, une bataille s'organise. Contre le principe même du plébiscite, d'abord. Mais c'est déjà un combat d'arrière-garde. Le moyen, au moment où tout le monde a le mot de liberté à la bouche, de refuser au peuple le droit de s'exprimer? Et lorsque Gambetta choisit comme ligne de défense l'idée que « le suffrage universel n'est compatible qu'avec la République », chacun sent bien que la formule est creuse, ne démontre rien et constitue surtout un aveu d'impuissance. Plus subtile et plus difficile à parer est la proposition que
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