Louis Napoléon le Grand
Chevandier de Valdrome à l'Intérieur et Buffet aux Finances. L'impératrice réserve à la nouvelle équipe un accueil glacial; cependant, dit-elle, «les Ministres qui ont la confiance de l'Empereur sont sûrs de ma bienveillance ».
Louis Napoléon avait beau avoir affirmé qu'il ne voulait que « des Ministres qui aiment le peuple », en fait, une partie du cabinet paraît avoir été recrutée dans l'ancienne rue de Poitiers. Thiers peut se frotter les mains et même exprimer quelques louanges qui sont autant de flèches empoisonnées: « Les opinions que je représente, juge-t-il, sont assises au banc des Ministres. » Pis encore: ce ministère « est le successeur de celui de Guizot, vingt ans après ».
De fait, Ollivier a peut-être péché par imprudence en appelant à lui certains hommes dont il ne pouvait attendre beaucoup defidélité. Et peut-être aussi par pusillanimité, en écartant d'autres hommes capables de gagner à sa cause une plus large partie de l'opinion parlementaire.
Le 10 janvier 1870, devant le Corps législatif, Émile Ollivier lance un appel solennel à tous les partis: « Personne ne peut refuser son concours à la constitution d'un gouvernement qui donne le progrès sans la violence et la liberté sans la révolution. »
Du moins, la sincérité d'Ollivier ne peut être mise en doute. Bergson est dans le vrai, lorsqu'il propose ce raccourci saisissant de ses sept mois de pouvoir: « Le 2 janvier 1870, il inaugurait l'Empire libéral. Sept mois plus tard devait venir la catastrophe. Mais pendant ces sept mois la France s'achemina de jour en jour, presque d'heure en heure, vers ce parfait équilibre entre la liberté et l'autorité auquel elle aspirait depuis si longtemps. Le grand honnête homme qui était au pouvoir pratiquait les maximes et appliquait les principes qu'il avait professés dans l'opposition... »
Pourtant, très vite, les épreuves vont se succéder et les difficultés s'accumuler.
Passe encore pour l'hostilité des républicains, qui était prévisible, et dont Gambetta se fait le véhément interprète: « A nos yeux, déclare-t-il, le suffrage universel n'est pas compatible avec la forme de gouvernement que vous préconisez. Entre la République de 1848 et la République de l'avenir, vous n'êtes qu'un pont et ce pont, nous le franchirons. »
Plus inattendue est l'ampleur de la terrible bataille qui s'engage sur le problème du libre-échange. Le Corps législatif a obtenu la constitution d'une commission d'enquête sur les conséquences des traités commerciaux, enquête dont il y a tout lieu de redouter les débordements démagogiques.
De surcroît survient, dès le 10 janvier, l'affaire Victor Noir. Pour Louis Napoléon et pour le nouveau gouvernement, cette affaire tombe on ne peut plus mal. Tous les ingrédients d'un mélange explosif s'y trouvent réunis; pas un ne manque à l'appel: un assassinat dans des circonstances mal éclaircies; un membre de la famille de l'empereur directement impliqué; un mobile à rechercher dans un problème de presse; la mort d'un journaliste. Que faut-il de plus pour que le scandale dégénère en une affaire d'État susceptible de mettre à bas le régime? Qu'importe si Pierre Bonaparte, fils de Lucien, au caractère irritable et violent, a été généralement tenu à l'écart de la Cour et de l'entourage?Qu'importe de savoir s'il a pu être provoqué et s'il n'a pas forcément sorti le premier son arme?
Il reste qu'un cousin de l'empereur a adressé à Rochefort, dont les écrits lui avaient déplu, le court billet suivant: « J'habite tout bonnement 59, rue d'Auteuil, et je vous promets que si vous vous présentez on ne vous dira pas que je suis sorti. » Il reste que, recevant deux journalistes dont il pensait qu'ils étaient les témoins de son adversaire, Pierre Bonaparte a trucidé l'un d'entre eux. Il reste que, le 12 janvier, les obsèques de Victor Noir sont l'occasion d'un immense rassemblement dont on peut longtemps craindre qu'il ne tourne à l'émeute. Jugé par la Haute Cour, Pierre Bonaparte sera acquitté, mais condamné aux dépens. Et l'effet psychologique de l'affaire aura été désastreux.
Voilà donc bien de terribles baptêmes pour le nouveau gouvernement.
Paradoxalement, Louis Napoléon souffre moins de ces difficultés que le gouvernement lui-même. Il a pourtant décidé de jouer loyalement le jeu, quoi qu'il puisse lui en coûter. Ainsi, les réunions du Conseil des ministres ont
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