Louis Napoléon le Grand
n'étaient pas sans mérite car nul en dehors de lui n'en reconnaissait vraiment la nécessité. En témoigne l'étonnement de Victor Duruy, lorsqu'il entend l'un de nos maréchaux se moquer des canons allemands qui se chargent par la culasse: « On ne tire que trop de coups de canon [...]. Ce sont des mouvements d'horlogerie qui se détraquent. »
A présent, Louis Napoléon sait que la situation appelle des réformes autrement radicales, et que c'est probablement une question de vie ou de mort.
Déjà, lors de sa captivité au fort de Ham, il s'était prononcé pour un service militaire personnel et universel à court terme, avec une forte armée de réserve, c'est-à-dire pour une transposition du système prussien qui, du fait de notre avantage démographique, nous aurait assuré une supériorité permanente. Il n'a pas changé d'avis: la seule solution, pense-t-il, est d'en venir à la nation armée, « le nombre ayant désormais une importance décisive à la guerre ». Pour cet homme acquis à l'idée que la différence entre les nations se situe sur le terrain économique, il n'est peut-être pas si facile d'expliquer alors à tous que « l'influence d'une nation se mesure au nombre d'hommes qu'elle peut mettre sous les armes ».
Notre situation n'est guère favorable. La Prusse, pays de vingt-deux millions d'habitants, a réussi en 1866 à mettre sept cent mille hommes sur le pied de guerre. La même année, la France, pays de trente-six millions d'habitants, ne dispose que d'une armée active de trois cent quatre-vingt-cinq mille hommes, dont cent mille en Algérie, au Mexique ou à Rome.
C'est dire qu'il faudrait revoir le système de fond en comble. Est toujours en vigueur la loi de 1832 sur le recrutement, loi injuste et dépassée, qui fait du service militaire une sorte de loterie. Chaque année, le Corps législatif fixe les chiffres du contingent — cent mille, en règle générale, cent quarante mille en cas de conflit— après quoi les Français de vingt ans sont conviés à tirer au sort. Les mauvais numéros sont enrôlés pour sept ans, les bons sont libérés de toute obligation. Le remplacement à prix d'argent est autorisé, Louis Napoléon ayant été l'un des premiers à dénoncer cette « traite des blancs, le droit pour un riche d'envoyer un homme du peuple se faire tuer à sa place ». Combien de Français ne comptent-ils pas ainsi parmi leurs aïeux un grand-père ou un arrière-grand-père qui donna son sang parce qu'il n'avait pas tiré le bon numéro?
Pourtant tout le monde, ou presque, est satisfait du système. En juillet 1866, Louis Napoléon se heurte ainsi au maréchal Randon, qui estime que tout va pour le mieux. Ce n'est pas l'opinion de l'empereur. Dès son retour de Vichy, en août, il a réuni autour de lui un groupe de travail comprenant le maréchal Niel, ouvert aux idées de réforme, les généraux Lebrun et Castelnau, ainsi que le fidèle et inévitable Fleury. Leurs premières réflexions débouchent sur la constitution d'une haute commission de réforme de l'armée, commission de vingt-trois membres où figurent tous les grands noms de l'armée, le prince Napoléon Jérôme, Rouher, Fould et quelques représentants du Conseil d'État. Présidée par l'empereur en personne, la commission se réunira régulièrement du 30 octobre au 12 décembre.
Louis Napoléon ne cache à personne l'objectif à atteindre: on doit en venir au service universel, et donc astreindre au service toute la classe des conscrits. Il faut en outre, à côté de l'armée active, constituer une garde mobile de quelque quatre cent mille hommes.
Le projet qui sera arrêté au terme des travaux de la commission est déjà en recul par rapport aux intentions de l'empereur. On retient le principe d'une armée de huit cent quatre-vingt-quatre mille hommes: tout le contingent — cent soixante mille hommes — serait incorporé, soit pour six ans dans l'active, soit pour quelques mois dans la réserve, en fonction des résultats du tirage au sort; une garde nationale mobile serait instituée où les jeunes — qu'ils viennent de l'active, de la réserve ou qu'ils soient exonérés — devraient servir pendant trois ans; chaque année auraient lieu un ou deux appels de huit jours pour la garde mobile. Le système du remplacement serait maintenu, mais les remplacés seraient affectés à la garde mobile.
Le 20 janvier 1867, Niel, qui incarne la nouvelle politique,succède à Randon. Niel a six
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