Louis Napoléon le Grand
ans de plus que Louis Napoléon. Sorti de Polytechnique dans le génie, il s'est illustré à Constantine. Il a fortifié Paris en 1841 et 1842. En 1849, il a été blessé devant Rome. Nommé général, on l'a chargé d'une mission délicate auprès de Pie IX, mission qui ne fut pas étrangère au revirement du pape dont un « motu proprio » annonça alors quelques concessions aux idées libérales. Il était à Sébastopol et à Solferino, où son corps d'armée reçut tous les coups. C'est pour ces exploits que Louis Napoléon lui a donné son bâton de maréchal.
Les choses ne semblent donc pas trop mal parties. Mais voilà que s'élève contre le projet un formidable tir de barrage. Dans les milieux les plus divers, l'opposition à la réforme prend d'énormes proportions.
Pour le comprendre, il faut se souvenir d'abord que l'antimilitarisme est, à l'époque, fort répandu: des hommes aussi différents que Littré, Michel Chevalier... ou Déroulède ne croient pas à l'utilité de l'armée.
La France, qui est devenue riche, semble ne se soucier que de ses intérêts matériels. Les industriels craignent la raréfaction de la main-d'oeuvre résultant d'une nouvelle méthode de conscription. Les financiers appréhendent le coût du programme et les impôts nouveaux que sa mise en oeuvre rendrait nécessaires. Paul Guériot nous éclaire sur la mentalité de l'heure en rapportant que « lors des élections de 1869, sur plus de sept cents candidats, vingt-deux seulement eurent le courage dans leur profession de foi de ne pas faire allusion à une réduction possible des effectifs ».
Certes, la vue des uniformes, bonnets à poil, colbacks, chapkas emplumées, buffleteries éclatantes, brandebourgs d'or et d'argent, sabretaches, fourragères, tout cela déclenche encore les sentiments cocardiers des Français, mais ne les conduit pas pour autant à soutenir le projet de l'empereur. Au contraire, il semble n'y avoir pour eux aucune raison de modifier le statu quo.
Les militaires ne sont pas les derniers à refuser le changement. Trochu s'exclame: « Une telle armée serait nationale, c'est ce qu'il ne faut pas. » Randon renchérit: « Cette proposition ne nous donnera que des recrues. Ce sont des soldats qu'il nous faut. » Changarnier, lui aussi, exprime son opposition. Selon le prince de Joinville, le nouveau mode de recrutement « écrasait outre mesure la race qui donne, hélas, quelques signes d'épuisement, et [...] tuait la poule aux oeufs d'or ».
Quant aux républicains, ils avaient transposé au domaine extérieur l'inepte théorie de l'« invisible sentinelle », qui leur avait valu de si brillants résultats à l'intérieur: en cas de danger, assuraient-ils, on pourrait compter sur la « levée en masse » et l'« esprit de patriotisme ».
Dans l'entourage de l'empereur, l'hostilité au projet avait gagné certains proches qui estimaient, comme tout le monde, que la France n'était pas la Prusse et qu'elle n'accepterait jamais un système militariste. Son vieil ami Emile de Girardin affirmait que « toucher à la loi française pour la prussifier, ce serait ameuter 600 000 familles, 4 200 000 personnes! » Émile Ollivier, dont le rapprochement devenait pourtant de plus en plus certain, laissait tomber: « De ce projet, les ennemis de l'Empire se réjouissent, ses amis sont consternés. »
Il fut vite clair que le Corps législatif n'accepterait pas le texte. Des pétitions circulaient, maires et députés subissaient de fortes pressions. La perspective des prochaines élections se trouvait là pour incliner les plus fidèles au refus. A gauche, on était ravi de recevoir des mains de l'adversaire une telle arme de combat. De l'autre côté, on redoutait les réactions du monde paysan à l'idée même de la conscription. 1869, c'était demain.
Vouloir se conformer, avant tout, aux sentiments réels ou supposés des citoyens: comportement aussi vieux que la démocratie mais qui, sous prétexte de la défendre, aboutit à la dévoyer. N'existe-t-il pas des circonstances où l'homme public a le devoir de précéder l'opinion? Si c'est dans l'intérêt national, l'opinion ne retiendra que provisoirement contre lui ce décalage momentané. A l'inverse, s'il la suit et que les choses tournent mal, elle sera la première à lui faire reproche de ne pas avoir osé lui montrer le chemin. Mais à l'époque, qui ose oser?
Louis Napoléon mesure, lui, toute l'importance de l'enjeu; il est décidé à
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