Louis Napoléon le Grand
Satisfait dans tous les domaines, le chancelier est assez fin politique et suffisamment renseigné pour ne pas pressentir ce qui risque de se produire bientôt à Paris: la révolution. Or, non seulement il exècre les révolutions, mais il peut aussi craindre qu'un nouveau gouvernement, pour asseoir sa légitimité en s'opposant à l'ennemi, ne décide de poursuivre les hostilités. L'issue finale ne ferait alors guère de doute. Mais que d'efforts à consentir, de retards à accepter, de dépenses à financer, de vies humaines à sacrifier, alors que le résultat est déjà à portée de lamain! Au demeurant, le marché — pour une fois — doit lui paraître plus qu'équitable : en traitant avec l'empereur, la Prusse offre à celui-ci la garantie du pouvoir. Dès lors que l'empereur signe la paix, la Prusse veillera — et obtiendra par la seule menace de ses troupes — que la légitimité du signataire ne soit pas remise en cause.
Louis Napoléon n'ignore rien de tout cela. La tentation doit être forte: qui n'y aurait cédé? En acceptant le marché, il peut sauver l'Empire. Les bonnes raisons ne manqueraient pas, qu'il serait aisé de mettre en avant, l'intérêt national pouvant facilement camoufler, même aux yeux des plus farouches adversaires de l'Empire, l'intérêt dynastique.
Pourtant, Louis Napoléon refuse. L'épée qu'il a remise, déclare-t-il au chancelier, n'est que celle de l'empereur. Aucun pourparler ne peut être engagé avec lui : « Je suis, dit-il, prisonnier de guerre. »
A ce moment précis, il a choisi de sacrifier l'Empire au nom de la France. Il a renoncé à rester le souverain par la grâce de la Prusse. Il a refusé de rentrer aux Tuileries, fût-ce en empereur autoritaire, dans les fourgons de l'ennemi.
Alors Bismarck l'interroge: « Qui a pouvoir de négocier? » Et Louis Napoléon de répondre : « Le Gouvernement actuellement existant. »
On a bien lu : le gouvernement actuellement existant. C'est-à-dire le gouvernement en place, qui pourrait être un autre demain ; ce serait alors à celui-ci de se prononcer. Louis Napoléon n'a pas voulu sacrifier ses soldats pour réserver l'avenir. Il n'aura pas voulu davantage lui faire insulte, fût-ce en contrepartie de son maintien aux affaires.
En d'autres termes, Louis Napoléon signifie à Bismarck que la France continue.
Il s'est trouvé au moins un historien pour comprendre et saluer la grandeur de ce geste. C'est Adrien Dansette qui résume ainsi les choses : « Plus grand dans l'effondrement de la fortune que dans l'éclat de son destin, cet Empereur qui toujours rechercha les suffrages populaires, s'efface dans un héroïsme obscur et passif que la foule ne peut comprendre. »
On pourrait sans doute dire davantage. Le refus de Louis Napoléon est le premier acte de la revanche de la France.
X
LE RÉPROUVÉ
Il reste au vaincu de Sedan avant que la mort ne le délivre, à parcourir un second et long chemin de croix: prisonnier à nouveau, puis exilé encore, il va devenir aux yeux des Français, lentement mais inexorablement, une sorte de pestiféré.
Après son entretien dramatique avec Bismarck, Louis Napoléon a rencontré tour à tour Moltke puis le roi Guillaume. On lui a choisi comme lieu de détention le château de Wilhelmshöhe, près de Cassel, qui appartint un moment au roi Jérôme. Il n'a fait lui-même qu'une simple demande: qu'on le fasse passer par la Belgique, afin de lui éviter la vue des convois de soldats français captifs ou débandés. Le voyage, fait par petites étapes, sera pourtant effroyable : il souffre dans sa chair et croise quand même, pour son malheur, nombre de ses soldats désemparés, méprisants, hostiles.
« Cette marche fut un supplice », allait-il écrire bientôt à Eugénie. Il voit défiler à côté de sa voiture les canons français qui avaient été pris l'avant-veille. On dirait que, progressivement, il comprend les raisons de la défaite. Il convoque son aide de camp, le général Lepic : « Je vous prie de vous rendre à Paris le plus vite possible. Voyez l'Impératrice, voyez les Ministres, voyez tout le monde. Racontez ce que vous avez vu, dites la vérité entière, complète. La vérité seule peut expliquer la catastrophe. Seule, elle peut nous faire absoudre. »
C'est à Verviers, où il doit prendre le train pour l'Allemagne qu'il apprend la chute du régime. Le choc est d'autant plus terrible qu'on ne lui fournit aucune indication sur le sort qui a pu être
Weitere Kostenlose Bücher