Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Louis Napoléon le Grand

Louis Napoléon le Grand

Titel: Louis Napoléon le Grand Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Séguin
Vom Netzwerk:
maladresses du pouvoir ont d'abord transformé l'agitation en émeute; et l'émeute tourne finalement à la révolution. Mais s'il en est ainsi, c'est probablement parce que, même si rien ne l'indique, le terrain s'y prête.
    Le terrain est propice, car instable. Et pourtant, la situation n'est pas si mauvaise; la France est tout sauf malheureuse. On comprend donc fort bien que le gouvernement soit désemparé et ne sache au juste comment rétablir le calme. Quand Louis-Philippe s'en va, on ne peut dire que c'est parce que le régime est battu; c'est plutôt parce qu'il a baissé les bras, manifestant ainsi autant son incompréhension que son impuissance devant une situation décidément insaisissable.
    En fait, l'industrialisation et l'évolution des transports ont déterminé une modification en profondeur des comportements économiques et sociaux. Face à cette nouvelle donne, la société s'interroge. Ses fondements sont sapés sans qu'elle sache au juste quel ordre nouveau leur substituer. Du coup, le pays balance; il oscille entre la gauche et la droite sans parvenir à se fixer. Tout en aspirant à l'ordre, il a besoin que soient prises en compte ces nouvelles réalités... Personne n'apporte de réponse claire et crédible à son attente.
    Plus encore, la France ne se sent pas bien dans sa peau. La France qui pense, qui aspire à décider, la France qui compte, la France éclairée. C'est-à-dire une partie seulement des Français. Et tout particulièrement ceux de cette capitale si vive, si nerveuse, centre de toutes les richesses et de tous les talents, si prompte à s'enflammer et à réaliser ce qui est le propre de tant de révolutions: la conjonction momentanée d'aspirations contradictoires.
    Il s'est trouvé, en 1968, un Pierre Viansson-Ponté pour écrire que la France s'ennuyait. En 1848, c'est de cela, déjà, qu'il s'agit. Et Lamartine, en annonçant « la révolution du mépris », pose — littéralement — le même diagnostic: « Les générations qui montent derrière nous ne sont pas lasses [...]. La France s'ennuie. »
    N'y a-t-il pas d'autres frappantes analogies entre 1848 et les événements — révolutionnaires — qui secouèrent Paris cent vingt ans plus tard?
    1848 et 1968, c'est la même impréparation, le même étonnement, la même spontanéité, la même absence de projet ou de programme, la même extase, la même griserie née d'une totale et subite liberté de penser, d'inventer.
    Comme on ne sait pas pourquoi au juste on a fait la révolution, on va passer son temps à se le demander, et à chercher à en débattre. A quoi tout cela pourrait-il bien servir? Qu'est-il permis d'espérer? Quel monde nouveau bâtir? Extraordinaire fermentation des esprits, dans les deux cas. Plus encore peut-être en 1848; parce qu'on n'a pas alors de rendez-vous quotidiens — et nocturnes — avec les forces de l'ordre et qu'on ne passe pas ses matinées à panser ses plaies et ses bosses et à prendre un peu de repos... Les journaux — les feuilles, devrait-on dire — se créent par centaines. Chacun y va de son opinion, de son analyse, de sa proposition. Il n'est pas jusqu'aux classes les plus frileuses, qui, au début tout au moins, ne se laissent entraîner par l'enthousiasme, le délire général. Le nouveau pouvoir lui-même se met à l'unisson. D'autant plus qu'il agit devant la rue, et sous sa pression.
    On ne découvrira que plus tard — comme ce fut le cas en 1968 — le considérable décalage entre l'effervescence parisienne et la réserve perplexe d'une bonne partie de la province, laquelle a appris la nouvelle... par le télégraphe et peine à se retrouver dans le tourbillon des événements. Pour l'heure, à Paris, et dans les grandes villes, tout paraît possible; les échelles de valeurs volent en éclats. Marseille voit arriver à l'étonnement des uns, l'attente fébrile des autres, un préfet de vingt-trois ans, dont on reparlera: il s'appelle Émile Ollivier.
    Car il faut bien assurer la continuité de l'État.
    Lamartine et le Gouvernement provisoire, c'est certain, auraient souhaité prendre leur temps et laisser aux Français le soin de choisir un type de régime conforme à leurs voeux. Mais le peuple de Paris, qui a retrouvé le chemin de son Hôtel de Ville, gronde. Karl Marx expliquera plus tard que « la révolution de février était une surprise tentée avec succès contre l'ancienne société et le peuple fit de ce coup de main inespéré un événement

Weitere Kostenlose Bücher