Louis Napoléon le Grand
vous venez de me faire connaître les volontés de la Nation. »
C'est bien pourquoi il ne sera que le troisième Napoléon. S'il en était allé autrement, il aurait dû être le cinquième, puisque Joseph et Louis l'avaient théoriquement précédé. Et s'il n'était pas le deuxième, c'est parce qu'on pouvait considérer qu'après Waterloo le duc de Reichstadt avait été légitimement proclamé par les représentants du peuple.
Un peu plus tôt, Louis Napoléon s'était déjà expliqué là-dessus :
« Je prends aujourd'hui, avec la couronne, le nom de Napoléon III, parce que la logique du peuple me l'a déjà donné de ses acclamations, parce que le Sénat l'a proposé légalement et parce que la Nation l'a ratifié. Est-ce à dire cependant qu'en acceptant ce titre, je tombe dans l'erreur reprochée au Prince qui, revenantde l'exil, déclara nul et non avenu tout ce qui s'était fait dans son absence ? Loin de moi un semblable égarement ! Non seulement je reconnais les Gouvernements qui m'ont précédé, mais j'hérite en quelque sorte de ce qu'ils ont fait de bien ou de mal; car les Gouvernements qui se succèdent sont, malgré leurs origines différentes, solidaires de leurs devanciers. Mais plus j'accepte tout ce que depuis cinquante ans l'histoire nous transmet avec son inflexible autorité, moins il m'était permis de passer sous silence le règne glorieux du chef de ma famille et le titre régulier, quoique éphémère, de son fils, que les Chambres proclamèrent dans le dernier élan du patriotisme vaincu.
« Ainsi donc, le titre de Napoléon III n'est pas une de ces prétentions dynastiques et surannées qui semblent une insulte au bon sens et à la vérité ; c'est l'hommage rendu à un Gouvernement qui fut légitime et auquel nous devons les plus belles pages de notre histoire moderne. »
Quoi qu'il en soit, les puissances étrangères s'abstinrent de bouger. Tour à tour, qu'elles fussent rassurées ou résignées, elles reconnurent le nouveau régime.
Du côté des Anglais, la cause de Louis Napoléon profita à coup sûr de la présence au Foreign Office d'un homme avec qui il s'était lié d'amitié à Londres, lord Malmesbury. Il n'y eut guère que le tsar à lui marquer une certaine mauvaise humeur teintée de condescendance. Dans un message qu'il lui adressa, au lieu de lui donner du « Mon Bon Frère » qui s'imposait entre souverains, il le gratifia d'un « Mon Bon Ami » qui mettait entre eux quelque distance. Louis Napoléon sut adroitement lui renvoyer la balle, par ambassadeur interposé: « Je remercie Sa Majesté. Car si l'on subit ses Frères, on choisit ses Amis. »
Et tout cela débouche sur le 2 décembre 1852, où sera consacré l'Empire. On n'avait pas résisté à la tentation de la symbolique : celle du lieu, Saint-Cloud, là-même où Napoléon I er avait été proclamé empereur en 1804. Celle de la date: célébrait-on le souvenir du sacre, celui d'Austerlitz ou, pour le conjurer, celui du coup d'État? De toute façon, elle était bien choisie...
***
La simple chronologie donnerait à penser que le mariage de l'empereur ne fut qu'une étape de plus, mûrement préparée et 193 réfléchie, dans la démarche méthodique de mise en place des nouvelles institutions.
Louis Napoléon convola avec Eugénie de Guzman le 30 janvier 1853, soit moins de deux mois après la proclamation de l'Empire. Cette union qui, tant par le choix de l'élue que par sa précipitation, stupéfia la France, procédait probablement moins d'une volonté politique que de la brutale détermination de Louis Napoléon à suivre un penchant personnel.
Bien sûr, dès lors que l'Empire était là, il fallait en tirer les conséquences et s'organiser. Et, notamment, trouver une femme, pour assurer la descendance mâle, faute de laquelle toute cette belle construction pourrait bien se transformer en machine infernale... Chacun était bien conscient en effet que, tant qu'il n'y aurait pas d'héritier, le régime ne pourrait trouver ses assises définitives.
Quelques années plus tard, avant la naissance du prince impérial, un incident devait illustrer ce sentiment d'angoisse, sourd et permanent. On était en 1854 et la guerre de Crimée s'éternisait : la promenade militaire annoncée s'avérait pleine de difficultés et causait des pertes inattendues et démesurées dans le corps expéditionnaire. Louis Napoléon n'y tenait plus... Il se reprochait d'être loin de ses soldats, qu'il avait
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