Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
Habsbourg roi d’Espagne.
Jamais Louis n’a ressenti une telle souffrance.
Son petit-fils, ce roi de son sang, chassé de son trône. C’est comme si tout ce qu’il avait voulu et espéré depuis son mariage avec Marie-Thérèse, héritière du trône d’Espagne, était remis en cause, détruit.
Il ne doit pas montrer ce qu’il ressent.
Mais qu’il soit à Versailles ou à Marly, il n’a jamais vu la Cour plus triste qu’elle n’est à présent. On attend des nouvelles d’Italie, où l’armée commandée par le maréchal de Marsin assiège Turin.
Mais Louis est inquiet.
Il vient de recevoir, le 21 août, des lettres envoyées de l’armée par Philippe d’Orléans, qu’il a autorisé à prendre un commandement à la tête de quatre régiments que le fils de la princesse Palatine a équipés à ses frais.
Il lit et relit les lettres du duc d’Orléans.
Il connaît la bravoure et l’intelligence de son neveu. Philippe critique la stratégie suivie par le maréchal de Marsin et le duc de La Feuillade – le gendre de Chamillart – qui, sous l’autorité de Marsin, commande en fait l’armée.
Le duc d’Orléans conteste leurs décisions. L’armée française s’obstine à faire le siège de Turin alors que les troupes du prince Eugène de Savoie avancent, qu’elles sont déjà menaçantes, ayant franchi le Pô, le Tanaro, bientôt la Doire. Elles prendront les troupes françaises à revers, feront la jonction avec les soldats du duc Amédée de Savoie.
Il semble à Louis que son neveu lui présente un compte rendu exact de la situation.
Mais que faire ?
Il est trop tard pour bouleverser le commandement de l’armée tel que Chamillart l’a organisé autour de son gendre le duc de La Feuillade et du maréchal de Marsin.
Alors il faut à nouveau attendre.
Le 14 septembre, le premier valet de chambre du duc d’Orléans, Saint-Léger, se présente aux appartements du roi.
Louis le reçoit et avant même de lire les lettres l’interroge.
La défaite a été complète. Toute l’Italie du Nord, du Milanais à Mantoue, et le Piémont, est perdue.
Le duc d’Orléans a été deux fois blessé, au poignet et à la hanche. Il a conduit les troupes, chargeant à leur tête jusqu’à ce qu’il tombe. Le maréchal de Marsin a été gravement atteint, fait prisonnier, avant de mourir.
Louis veut rester seul dans le grand cabinet.
Il écrit à Philippe d’Orléans, gentilhomme valeureux, de bon sang royal, pour le consoler de la défaite.
Mais elle est là, accablante. L’Italie après la bataille de Turin est aux mains de l’ennemi, comme l’ont été les Flandres après la défaite de Ramillies, et la Bavière et les pays allemands en 1704, après celle de Blenheim.
Mais quelle autre issue sinon continuer la guerre, puisque, gonflés de leur victoire, les Impériaux, les Hollandais, les Anglais se refusent à toute négociation ?
Louis veut voir la princesse Palatine, dont il imagine l’angoisse depuis que son fils a été blessé.
— J’aime mieux tout perdre, dit-il à la Palatine, et que le duc d’Orléans votre fils, mon neveu, vive. Je ne peux être plus content de lui que je ne le suis. Mme de Maintenon m’a dit, à raison : les héros dans les romans ne poussent pas la bravoure plus loin que ce qu’il a fait.
Il s’éloigne, suivi de quelques courtisans.
Il s’arrête, les toise.
— Ce n’est pas la faute de mon neveu, dit-il. C’est la mienne, c’est moi qui lui ai ordonné de suivre les avis de M. de Marsin.
Un roi est plus grand s’il sait prendre sa part des fautes de ceux qui lui ont obéi.
Il regarde la rouille de l’automne s’étendre jour après jour sur le parc de Versailles.
L’hiver est là, mais a-t-il jamais cessé tout au long de cette année 1706 ?
Malgré l’humidité et le froid, Louis s’obstine chaque jour à se promener dans les allées et, souvent, il doit rester assis sur son chariot que poussent les valets, tant les douleurs dans les jambes sont vives.
Il rentre dans ses appartements, puis passe dans le grand cabinet, au moment où le bref crépuscule est englouti par la nuit.
On apporte les candélabres. On allume le feu dans les cheminées. Les dépêches sont posées sur la table.
Il lit la première.
Elle annonce que Philippe V et l’armée de Berwick sont rentrés dans Madrid, acclamés par la foule castillane, qui a crié : « Vive le roi ! »
Les Anglo-Portugais de Galloway, harcelés
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