Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
par la population, ont abandonné la capitale. Le cœur de l’Espagne s’est donné au roi Bourbon.
« Mon petit-fils. »
C’est comme si ce poids qui l’écrasait se soulevait.
Il peut se redresser.
Son petit-fils règne. L’offense est effacée.
Et la duchesse de Bourgogne est grosse depuis quelques semaines d’un arrière-petit-fils.
Louis lève la tête, regarde monter la myriade d’étincelles qui jaillissent des bûches.
Il n’a plus froid.
31.
Il s’avance d’un pas lent dans la grande galerie, regardant droit devant lui, semblant ne pas voir les ambassadeurs et les courtisans qui s’inclinent, le suivent, font la haie.
Il ne doit pas leur montrer que son corps, des talons à la nuque, des doigts aux coudes et aux épaules, n’est que douleur.
Il a une fois de plus l’impression que ses os vont se briser, rongés par cette maladie qui revient avec le froid, se diffuse avec la chaleur et que Fagon ne peut faire reculer, se contentant de répéter d’un air accablé :
— La goutte, Votre Majesté.
Louis s’arrête, se tourne vers l’ambassadeur d’Espagne, le fixe silencieusement, puis dit :
— Monsieur, nos affaires vont bien.
Il veut se persuader que cette année 1707 effacera l’année cruelle qui vient de s’achever.
Le 8 janvier, la duchesse de Bourgogne, cette Marie-Adélaïde qui met un peu de gaieté et tout simplement de vie dans cette Cour devenue si grise, a donné naissance – enfin ! – de nouveau à un fils, et l’accouchement s’est déroulé si facilement que quelques personnes seulement ont pu assister à la naissance de cet arrière-petit-fils du roi.
Lorsque Louis l’a vu, il a détourné la tête pour cacher son émotion.
Il a dit d’une voix sourde qu’il saluait la naissance du second duc de Bretagne. Puis aussitôt il est sorti de la chambre, se souvenant de la mort de son premier arrière-petit-fils si vite venue.
Il sait que la mort est un poison qui se glisse dans la vie, dès qu’elle apparaît.
Aussi la joie qu’il éprouve est-elle ternie par cette inquiétude sourde.
La mort est là, si proche. Il la sent dans son corps et elle est déjà dans celui du duc de Bretagne.
Il se rend à la messe chaque jour.
Il prie pour son arrière-petit-fils puis il gagne le grand cabinet où les ministres l’attendent.
Il voit Chamillart dont le visage exsangue et la pâleur, toute son attitude aussi – tête penchée, dos voûté – disent la fatigue et l’accablement. Les billets ne réussissent pas à remplacer l’or ou l’argent.
Les coffres sont vides.
Une flotte de galions espagnols, chargée d’argent des Amériques, a été coulée par les navires anglais à Carthagène.
La création et la vente d’offices dans toutes les activités, depuis celles des perruquiers barbiers jusqu’à celles des visiteurs de beurre frais ou de beurre salé, n’apportent que de faibles ressources qu’on ne peut renouveler qu’en créant d’autres charges, tout aussi mutiles mais qui peu à peu ossifient le royaume.
Il comprend le désarroi et l’épuisement de Chamillart qui laisse entendre, une fois encore, qu’il est prêt à abandonner sa charge de contrôleur général des Finances.
« Votre Majesté, écrit-il, j’ai toujours eu du courage et les forces ne m’ont point manqué tant que j’ai eu des ressources.
« Mais elles sont malheureusement épuisées, reprend-il. Je commence à travailler à l’impossible. Dieu me donne assez de lumières pour en faire quelque chose ! »
Il ne laissera pas Chamillart renoncer à ses fonctions.
Il ne veut plus changer de ministre. Il a besoin d’avoir autour de lui ces visages qui le rassurent.
Il lui semble que tout mouvement, tout changement, l’inquiète.
Il ne veut pas se séparer de Chamillart ou exclure de la Cour le maréchal de Villeroi, vaincu à Ramillies, mais vieux compagnon.
Ils sont si rares désormais ceux qui ont connu les splendeurs des débuts du règne, quand il dansait le corps léger devant toute la Cour l’une de ces comédies-ballets dont il était l’acteur principal, aussi beau qu’Apollon, Louis, le Roi-Soleil.
Et dans la rotonde en marbre rose des bains de Diane, il retrouvait Athénaïs de Montespan de Mortemart, belle comme Vénus.
Il est à Marly.
Il s’apprête, entouré de quelques courtisans, à partir à la chasse. Un courrier s’approche, remet une dépêche. C’est un acte de décès rédigé par le curé
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