L'ultime prophétie
gouvernante lui avait assuré que la Dame Filandière sauverait son peuple de l'oppression mais elle n'avait pu le lui dire plus de
deux fois, le père d'Alezzi l'ayant ensuite réduite au silence en la battant.
Alezzi se rappelait cependant cette histoire et un frisson
le parcourut en constatant à la longue-vue que toutes les bannières de l'armée
qui lui faisait face arboraient un loup des neiges. Y compris, à sa grande
horreur, celles des Bozandari qui se tenaient au centre de cette formation
abominable.
Des Bozandari avaient rallié les Anari ? Il avait balayé
d'un revers de la main les rumeurs qu'il avait entendues à ce sujet. Aucun
soldat bozandari ne commettrait un tel acte de trahison, et certainement pas
son cousin Tuzza ! Il avait cru que ses éclaireurs n'avaient rien vu de plus
que leurs camarades prisonniers ou peut-être otages des Anari.
Mais ce qu'il voyait à présent ne laissait plus de place au
doute. Les survivants de la légion de son cousin étaient en ordre de bataille, prêts
à se battre contre les leurs.
Alezzi s'était endurci au fil du temps mais il ne pouvait
voir pareil spectacle sans se sentir profondément trahi. Il avait été envoyé
ici afin de venir en renfort à son cousin, un cousin auquel l'empereur tenait
beaucoup. Et il devait maintenant le combattre, lui et ses hommes, en ennemis.
Il était sur le point de faire signe à ses troupes de
descendre la colline et de charger — quel autre choix avait-il ? — lorsqu'il
vit quelque chose qui arrêta son geste.
Trois cavaliers dévalaient la colline en face : un Bozandari
qu'il reconnut à sa façon se tenir en selle comme étant son cousin, un homme
vêtu de noir de la tête aux pieds, une épée sur le côté et un carquois et un
arc sur le dos et... plus surprenant encore, une femme habillée de blanc qui
semblait briller de l'intérieur. Alezzi en fut éberlué.
Ils tenaient un drapeau aux carreaux blancs et noirs, qui
signalait leur volonté de parlementer. Il aurait pu passer outre et donner l'ordre
d'attaquer mais il s'agissait de son cousin et la curiosité l'emporta.
— C'est une ruse, dit son lieutenant, Malchi.
— C'est mon cousin. Je veux aller voir ce qu'il a à me
dire.
— Ils se servent de lui.
— Peut-être. Ou peut-être est-ce lui qui se sert d'eux.
Malchi leva un sourcil.
— Je n'avais pas songé à cela.
— Ce qui explique pourquoi je commande cette légion et pas
toi.
Cette remarque était dure mais Alezzi avait toujours déploré
que Malchi lui causât plus d'ennuis qu'il ne lui était utile, en homme s'étant
élevé à son présent rang grâce à ses relations et à son argent, sans l'avoir
gagné par son propre mérite. La famille d'Alezzi, et par extension, celle de
Tuzza, méprisait ceux qui ne comprenaient pas que la richesse et le statut
social impliquaient une grande responsabilité. Ils n'étaient pas seulement
destinés à la jouissance des paresseux.
— Qui vous accompagne ?
— Toi, bien sûr, répondit Alezzi comme si cela ne faisait
pas de doute.
En réalité, il préférait avoir cet homme à ses côtés plutôt
que derrière lui, là où il aurait pu lui créer des problèmes.
— Toi, un porte-étendard et un soldat.
— Un seul ?
— Oui-da. Je peux assurer ma propre sécurité mais tu
pourrais avoir besoin de protection.
Malchi rougit violemment de colère. Si Alezzi ne savait pas
l'homme aussi inoffensif qu'un crapaud, il se serait inquiété. Or même si
Malchi disposait d'une faction qui le soutenait dans la légion, ses partisans
étaient bien moins nombreux que les siens.
Quelques instants plus tard, sa délégation se dirigeait vers
Tuzza et ses compagnons. Alezzi ne tenait pas de drapeau pacifique mais son
étendard au lion noir ; histoire de leur faire savoir qu'ils n'étaient pas à
l'abri d'un assaut s'il jugeait celui-ci nécessaire.
Tuzza observait son cousin avec des sentiments mitigés. Ils
avaient été aussi proches que des frères pendant des années, bien que le devoir
les eût souvent tenus éloignés à des centaines de lieues l'un de l'autre.
Il était content de voir son cousin venir à sa rencontre.
Moins content de voir son étendard, car il indiquait que son cousin serait sans
pitié et qu'il était prêt à donner l'assaut. Ils ne bénéficieraient donc pas de
la règle ancienne d'immunité des négociateurs pour cette rencontre.
— Cela n'augure rien de bon, murmura Archer.
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