L'ultime prophétie

Cilla.
    —   Alors, suivez-moi.
    Tess avait vu quelque part dans son esprit la trame qui
sous-tendait la réalité. Elle y apercevait non seulement la présence noire
d'Ardred au nord-ouest, mais aussi, bien plus près, la lumière faible d'une Ilduin,
une lueur prise au piège d'une toile maléfique.
    Elle porta la main au petit sac autour de son cou et en
sortit les pierres. L'améthyste brillait vaillamment. Elle remit les autres à
leur place et tint la pierre violette devant elle. Chaque fois quelle devait
tourner à droite ou à gauche, elle lui servait de guide, faiblissant
lorsqu'elle choisissait le mauvais chemin et brillant davantage quand elle
prenait la bonne direction.
    Sa sœur inconnue l'aidait. Le cœur de Tess fut soudain empli
d'un nouvel espoir.
    —   Elle n'est pas entièrement perdue. Elle nous appelle.
    —   Ou alors, on se sert d'elle pour nous appeler, la mit en
garde Cilla.
    Tess n'en continua pas moins à suivre la petite pierre. Avec
ses sœurs, elle devrait résister à une seule Ilduin. Et quels que fussent les
pouvoirs d'Ardred, il semblait avoir besoin des Ilduins afin de commettre ses
forfaitures.
    En tout cas pour l'instant.
    Elles arrivèrent enfin devant une porte.
    —   Elle est là, je sens sa présence, dit Sara.
    —   Moi aussi, approuva Cilla.
    L'améthyste brilla de plus belle, confirmant ces intuitions.
Sara frappa à la porte. Aucune réponse. Elle regarda les autres d'un air
interrogateur puis ouvrit la porte.
    Elles virent une femme d'âge moyen assise sur une chaise à
bascule, à côté d'un lit étroit. Ses yeux étaient vides et ses traits déformés.
    —   Ma sœur, dit doucement Sara en entrant dans la pièce. Ma
sœur, m'entends-tu ?
    La femme tourna la tête. Ses yeux reflétaient le mal.
    —   Aidez-moi, murmura-t-elle.
    A ces mots, elle se tordit de douleur et poussa un
hurlement. La tentative d'Ardred de posséder totalement son âme menaça de la
briser.
    Sara, Cilla et Tess formèrent promptement un cercle autour
d'elle et unirent leurs mains. Têtes penchées, les yeux clos, elles cherchèrent
à rassembler les pouvoirs que leur avait donnés leur naissance.
    Ce ne fut pas aussi facile que les fois précédentes. Elles
avaient libéré une enfant qui ne maîtrisait pas encore ses pouvoirs puis une
vieille femme qui, pensa Tess, avait été sur le point d'être mise au rebut par
Ardred. Cette fois, Ardred refusait de lâcher prise et les Ilduins qui
contrôlaient les esprits pour lui se battaient afin de garder leur emprise sur
cette femme.
    Cette lutte, réalisa Tess, horrifiée de sentir des doigts
glacés et insidieux pénétrer dans son esprit, pourrait prendre au piège l'une
d'elles.
    Ou les tuer.
     
    27.
     
    Ardred se pencha sur la vieille harpie qui chantonnait. Il
était difficile de passer outre l'odeur de putréfaction qui se dégageait d'elle
mais il avait des soucis plus importants en tête.
    —   La vois-tu ? demanda-t-il à voix basse. Ma Tess ?
Peux-tu la distinguer des autres ?
    La vieille Ilduin, qui avait passé la majeure partie de sa
vie adulte à perfectionner ses pouvoirs sous le joug et les ordres d'Ardred, hocha
lentement la tête. Ses yeux aveugles voyaient ce que son maître ne pouvait
voir.
    —   Elle se tient avec les autres autour de Yazzi. Elles se
sont unies afin de me combattre.
    —   Il te suffit de provoquer une petite diversion,
murmura-t-il à son oreille, comme le ferait un amant. Tu pourras ainsi pénétrer
dans l'esprit de Tess et la contrôler.
    —   Elle me résiste déjà.
    —   Elle est en train de s'unir aux autres Ilduins, dit-il
plus sèchement. Ce qui la rend vulnérable.
    —   Ce serait plus aisé, dit amèrement la vieille, si votre
marque n'était pas si facile à déceler.
    Furieux, Ardred recula et gifla la femme violemment.
    —   Trouve un moyen ! Déguise-toi ! Invite-toi dans le
cercle qu'elle est en train de créer !
    —   Et sinon quoi ? répliqua la sorcière. Me tuerez- vous ?
Qui fera alors ce sale travail pour vous ?
    —   J'en ai d'autres.
    —   Oh oui-da, il y en a d'autres. Mais nulle n'est aussi
puissante que moi. Aucune ne pourrait faire ce que je fais pour vous.
    —   Ma Tess le pourrait.
    Elle ricana et ce ricanement était aussi sec et craquant que
le bruit des feuilles mortes balayées par le vent.
    —   Vous avez besoin de moi pour l'assujettir. Personne ne
peut le faire à ma place.
    —   Ose me défier, vieille femme, et je