Ma mère la terre - Mon père le ciel
Les hommes ne doivent pas être très différents.
— Les hommes pensent et ils haïssent, dit Shuganan. Les animaux se battent seulement pour vivre, peut-être parfois pour protéger leurs jeunes. Les hommes se battent avec la haine au cœur pour le pouvoir ou pour s'approprier des biens. C'est une différente sorte de combat qui éveille parfois de mauvais esprits.
Kayugh tripota son amulette. Le calme de l'ulaq était si loin de toute idée de combat. Il regarda Chagak soigner les bébés. Son fils était toujours frêle comparé à Samig mais sa maigreur ne faisait plus craindre pour sa vie.
— Je ne veux pas que Chagak aille chez les Chasseurs de Baleines, dit soudain Kayugh d'une voix qui résonna dans l'ulaq.
— Que vaut-il mieux? demanda calmement Shuganan, l'emmener ou la laisser ici ? Les Petits Hommes connaissent cette plage. Ils sont au courant de mes sculptures. Ils ont envoyé deux éclai-reurs ici, Kayugh. L'un devait rester en prenant Chagak pour femme ou pour passer l'hiver. Nous l'avons tué, mais l'autre est reparti chez son peuple. Il reviendra. Voudrais-tu que Chagak reste pour lui dire que son grand-père a tué un de leurs chasseurs? De plus, il y a Oiseau Gris. Si nous laissons les femmes, il voudra rester. Et j'ai vu la façon dont il regarde Chagak.
Kayugh réfléchit en silence.
— Tu as raison, dit-il finalement. Mais si nous devons partir il ne faut pas tarder. Qu'arrive-rait-il si les Petits Hommes venaient pendant que nous sommes là?
— Ce sont d'abord des chasseurs, assura Shuganan, et des guerriers ensuite.
Il tournait entre ses mains le morceau d'ivoire qu'il sculptait, son couteau creusant d'une manière précise jusqu'à ce que Kayugh distingue les yeux et le nez d'un phoque qui venait de naître sous ses doigts agiles.
Kayugh acquiesça mais il était quand même mal à l'aise. Il n'était pas bon d'emmener Chagak avec eux. Et que penseraient les Chasseurs de Baleines de Chagak, l'une des leurs, avec un fils et pas de mari?
Chagak creusait des trous avec son poinçon, traçant une ligne nette pour planter l'aiguille qui formerait les premiers points de la couture imperméable, mais, de temps en temps, elle levait la tête pour regarder Kayugh et Shuganan.
Comme toujours quand il sculptait, celui-ci prêtait peu d'attention à ce qui se passait autour de lui, à ce que disaient les autres et à l'activité de l'ulaq. C'était peut-être la raison pour laquelle lui et sa femme n'avaient pas eu d'enfants, pensa Chagak. Peut-être accordait-il trop d'attention à sa sculpture et ne restait-il rien pour sa femme, rien pour commencer lame d'un enfant.
Chagak regarda Kayugh et détourna vivement les yeux. Elle était préoccupée que cet homme soit si souvent dans ses pensées et une fois, au cours des dernières nuits, il était même venu dans ses rêves. Il s'était allongé près d'elle et lui avait caressé le visage jusqu'à ce qu'elle se réveillât toute tremblante.
Pour se réconforter, elle avait pris le fils de Kayugh plus près d'elle et réveillé Samig, endormi dans son berceau au-dessus de sa tête. Puis elle avait bercé doucement les deux enfants, heureuse de sentir la force de Samig et la douceur d'Amgigh. Elle avait fait courir son doigt sur le bras de Samig, et sourit en le voyant attraper son doigt dans sa petite main, puis elle avait fait la même chose avec le fils de Kayugh. Elle n'attendait pas de réaction, le bébé bougeait rarement ses mains de son sein. Mais quand elle lui caressa le bras, lui aussi saisit son doigt et s'y accrocha.
Elle avait baissé les yeux sur la tête d'Amgigh, avec un sentiment de joie. Elle avait souhaité le voir vivre pour le bonheur de Kayugh. Cet homme avait assez souffert, sans devoir encore perdre un fils. Maintenant elle savait qu'elle voulait aussi voir vivre l'enfant pour elle. Auparavant il y avait eu une sorte de distance, quelque chose que Chagak avait mis entre elle et l'enfant. Une protection. Il était encore trop tôt depuis la disparition de Pup. Elle ne pouvait supporter l'idée d'espérer, de prier et de se dire que l'enfant allait mieux alors qu'il s'approchait plus près de la mort. L'espoir n'apportant que davantage de souffrance.
Mais tout en le combattant son intérêt avait grandi, s'était glissé dans son âme, alors qu'elle était occupée à des tâches matérielles et maintenant elle soignait l'enfant non seulement pour Kayugh, mais pour elle.
Tout en cousant, Chagak songea à
Weitere Kostenlose Bücher