Ma mère la terre - Mon père le ciel
attention. Mais plus tard je compris que mon travail était utilisé dans de mauvais desseins.
« Bien qu'ils aient essayé de me faire rester, je quittai les Petits Hommes. Je savais qu'ils me rechercheraient afin de m'obliger à retourner chez eux. Mais je voyageai de nombreux jours dans mon ikyak et arrivai sur cette île. J'y construisis mon ulaq et, après un certain nombre d'années, je pris une femme chez les Chasseurs de Baleines. Nous eûmes un fils qui lui-même épousa une femme venant de chez les Premiers Hommes, originaire du sud de l'île d'Aka. Tous deux moururent et, après de nombreuses années, ma femme mourut également, mais ils me laissèrent Traqueur de Phoques, mon petit-fils. »
Bien qu'elle gardât les yeux fixés sur Shuganan, Chagak savait que les autres la regardaient. Elle sentait leurs pensées se concentrer sur elle et elle feignit de s'occuper des bébés.
L'huile des lampes avait baissé jusqu'au niveau des mèches qui donnaient peu de lumière mais, quand Chagak leva les yeux, elle vit briller le visage de Shuganan comme s'il était éclairé par de nombreuses lampes.
Puis elle entendit la loutre lui chuchoter : « Y a-t-il si longtemps que tu n'as pas entendu raconter une histoire? Ne te rappelles-tu pas le pouvoir des pensées sur des gens partageant les mêmes idées, perdus dans le même rêve? Comment as-tu pu oublier ce pouvoir? »
Mais Chagak savait que Shuganan en était arrivé à cet endroit de l'histoire qu'elle ne devait pas manquer. La partie la concernant ainsi que Samig. Aussi chassa-t-elle de son esprit les chuchotements de la loutre et écouta-t-elle Shuganan.
— Quand mon petit-fils fut assez âgé, il prit une femme qu'il alla chercher dans le village de sa mère.
Shuganan se tourna pour regarder Chagak.
— Aujourd'hui je peux légitimement considérer Chagak comme ma petite-fille. Mais un jour qu'il était parti à la chasse, Traqueur de Phoques ne revint pas. Chagak était sur le point de prendre le deuil et de se considérer comme veuve, mais, le septième jour, Traqueur de Phoques revint. Notre joie de le revoir fut vite assombrie quand il nous apprit que le village de Chagak avait été anéanti et que toute sa famille avait été exterminée. Il avait passé trois jours à enterrer les morts et à faire des cérémonies mortuaires.
« Je savais que ce ne pouvait être que les Petits Hommes et plus tard au cours de l'été deux envoyés de chez les Petits Hommes vinrent sur notre plage. Nous en avons tué un mais l'autre tua Traqueur de Phoques et réussit à s'enfuir, laissant Chagak veuve avec un fils qui devait naître le printemps suivant.
« Avant de quitter le village, le Petit Homme nous déclara qu'il reviendrait avec son peuple pour nous tuer avant d'aller attaquer les Chasseurs de Baleines dans leur île plus à l'ouest.
« La mère de Chagak et ma femme appartenaient toutes les deux au peuple des Chasseurs de Baleines. Aussi Chagak et moi avons-nous décidé de faire le voyage au printemps pour aller prévenir les Chasseurs de Baleines et nous comptons partir bientôt.
« Nous ne vous demandons pas de venir avec nous. Ce n'est pas votre peuple qui a été anéanti et vous ne devez aucune allégeance aux Chasseurs de Baleines. Mais nous devons partir. »
Chagak était assise, immobile dans la tranquillité de l'ulaq. Elle sentait la surprise des autres à la fin abrupte du récit. D'habitude les histoires se poursuivaient jusqu'à très avant dans la nuit, l'une offrant une suite logique à une autre.
Croyaient-ils Shuganan ? Il y avait peu de mensonges. Il avait omis de préciser qu'il était lui-même un Petit Homme, et avait affirmé que Traqueur de Phoques était son petit-fils, en ajoutant ce qu'elle souhaitait tant n'être pas un mensonge : que Traqueur de Phoques était le père de Samig.
En fait, en entendant Shuganan prononcer ces paroles, ce fut comme si elles étaient vraies, comme si sa façon de raconter l'histoire l'authentifiait et faisait de Samig le fils de Traqueur de Phoques. Elle serra son fils contre elle. Et s'ils devinaient la vérité? se demanda-t-elle. Et s'ils découvraient la vérité au sujet d'Homme-Qui-Tue ? Ils ne laisseraient pas Samig en vie. Il serait considéré comme un Petit Homme, un ennemi.
Elle serra Samig un peu plus fort et cette fois il se mit à pleurer en poussant un cri aigu qui résonna dans l'ulaq silencieux. Puis le fils de Kayugh se mit également à pleurer. Et Chagak eut
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