Ma mère la terre - Mon père le ciel
Samig et Amgigh grandissant ensemble, apprenant à utiliser un ikyak, à chasser. Puis soudain, comme si l'idée ne venait pas d'elle mais lui était soufflée par quelqu'un d'autre, elle se dit qu'il vaudrait mieux que Samig ait un père.
Non, il avait Shuganan, se dit-elle. Mais les propres paroles de Shuganan lui revinrent en mémoire : « Je suis vieux. »
Chagak secoua la tête et enfonça son aiguille dans le trou. Je n'ai pas besoin d'un mari, pensa-t-elle, et, en poussant son aiguille, elle enfonça les mots de Shuganan hors de ses pensées.
Il était tôt le matin et Chagak venait juste de rincer les paniers de nuit. Elle se tenait en haut de l'ulaq et regardait le cercle rouge du soleil se glisser sous les nuages qui recouvraient le ciel. Pour la première fois depuis que Kayugh lui avait apporté son fils, elle avait laissé les deux bébés dans l'ulaq. Amgigh dans les bras de son père, Samig dans son berceau.
Soudain, sous la caresse du vent et la clarté d'un jour nouveau, elle se sentit jeune, comme si, en fermant les yeux et en donnant assez de force à ses pensées, elle pouvait se retrouver dans son propre village, dans l'ulaq de son père, attendant l'arrivée de l'ikyak de Traqueur de Phoques au milieu des vagues. Mais elle entendit les pas lents de Shuganan montant la rejoindre et elle sentit ses seins lourds de lait et le pesant chagrin qu'elle portait toujours en elle depuis la disparition de son peuple.
— Il t'a demandée pour femme, dit Shuganan qui parla avant même de sortir de l'ulaq.
Pendant un moment Chagak crut avoir mal entendu et se pencha sur le vieil homme comme pour mieux l'entendre.
— Kayugh te désire pour femme, répéta Shuganan. Il ne veut pas que tu ailles chez les Chasseurs de Baleines sans un mari.
Pendant un long moment, Chagak ne répondit pas et garda les yeux sur la mer, trouvant ainsi un moyen de s'évader au milieu des flots. Mais finalement elle se retourna.
— Nous devrions partir maintenant, dit-elle, nous trouverons une autre île. Nous recommencerons. Nous pourrons revenir ici faire du troc...
La colère qui brilla dans les yeux de Shuganan l'empêcha de poursuivre.
— Et que feras-tu avec Amgigh? demanda-t-il. Le laisseras-tu ici, privé de lait, juste au moment où il commence à devenir fort ? Ou bien l'empor-teras-tu avec toi, laissant Kayugh sans la joie d'avoir un fils ?
Shuganan releva les manches de son parka sur ses poignets et tendit les mains vers elle, ses doigts déformés, les mains tremblantes.
— Je suis vieux, Chagak, soupira-t-il. Comment pourrais-je tenir une lance? Comment pourrais-je tirer avec un arc ? Je ne peux veiller sur toi et Samig. Ne pouvez-vous être mari et femme ? Chasseur et mère ?
La gorge serrée, Chagak répondit :
— Je ne veux pas être une épouse.
— Chagak, reprit Shuganan d'une voix ferme mais calme, ce n'est pas quelque chose que tu peux choisir. Tu dois avoir un mari. Kayugh est un brave homme. Si tu ne choisis pas Kayugh, peut-être qu'un homme faible comme Oiseau Gris te prendra de force et alors tu n'auras plus le choix.
— Je suis assez forte pour tuer Oiseau Gris et je suis assez forte pour rester seule.
Shuganan se laissa tomber sur le toit de l'ulaq.
— Oui, dit-il enfin, tu es assez forte pour rester seule.
Il garda longtemps le silence et Chagak se prit à espérer qu'il était d'accord avec elle, mais il reprit :
— Pour toi il sera peut-être plus nécessaire qu'à quiconque d'être forte pour appartenir à quelqu'un.
36
— Un fils! s'exclama Oiseau Gris à Coquille Bleue au moment où elle entrait dans l'abri aménagé pour ses couches.
Se rappelant ses propres douleurs au cours de la naissance de Samig, Chagak fut écœurée par cet homme. Ne pensait-il pas à la souffrance de son épouse ou à la frayeur que ressentait toute femme quand elle mettait un enfant au monde? Elle faillit ouvrir la bouche pour protester mais rencontra le regard de Shuganan, elle y lut un avertissement et se tut.
— Viens avec moi, Oiseau Gris, dit Kayugh. Nous allons chercher du bois sec afin de construire un ikyak pour ton nouveau fils.
Oiseau Gris regarda l'abri hâtivement dressé pour l'accouchement et hésita. Nez Crochu haussa les épaules :
— C'est son premier-né. Ce sera long.
Oiseau Gris partit avec Kayugh, suivi plus lentement par Shuganan, et Chagak remarqua que Kayugh ralentissait pour attendre le vieil homme.
La jeune femme continua son travail. Avec Nez
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