Ma mère la terre - Mon père le ciel
approuva.
— C'est bien, dit-il. Termine-le. Donne un visage à l'homme. Mon visage.
Sans répondre, Shuganan reprit la sculpture. Il finirait l'homme, mais il n'aurait pas le visage d'Homme-Qui-Tue.
— Tu es habile, reprit ce dernier.
Il s'accroupit près de Shuganan en se balançant sur les talons :
— Et peut-être que quelqu'un de si habile à trouver des hommes dans des petits morceaux d'os ou de dent est capable d'autres choses, ajouta-t-il. Peut-être qu'un homme si habile à trouver est aussi habile à cacher.
A ces mots, Shuganan réprima un frisson et sentit son cœur battre à coups redoublés. Mais il ne cessa pas de regarder sa sculpture et continua à ciseler le nez minuscule et les petits yeux de l'enfant.
Homme-Qui-Tue ranima la flamme de la lampe et entra dans la chambre de Shuganan. La lumière dessina son corps comme une ombre derrière le rideau. Shuganan le vit chercher le long du mur, faisant courir sa main sur les aspérités, s'arrêtant de temps en temps sur la surface inégale. Il fit ainsi le tour de la pièce avant de se laisser tomber à genoux pour fouiller le sol. Shuganan regarda Chagak, elle était pâle, les lèvres serrées.
— J'ai caché des couteaux, chuchota-t-il.
Chagak hocha la tête sans rien dire, les yeux
fixés sur le rideau. Soudain, Homme-Qui-Tue appela Shuganan :
— Tu n'es pas aussi malin que je le pensais, ricana-t-il, et, tirant le rideau sur le côté, il montra le couteau de chasse caché dans l'herbe du sol sous la couche.
Shuganan attendit, espérant que l'homme cesserait ses explorations et se contenterait de ce qu'il avait trouvé, mais il continua à chercher et s'exclama à nouveau.
— Il a trouvé le couteau courbé, murmura Shuganan.
— En as-tu caché d'autres? demanda Chagak sur le même ton.
— Trois dans ma chambre et un dans le sol de...
Homme-Qui-Tue poussa une autre exclamation et écarta le rideau en tenant les trois couteaux dans sa main gauche. Il les mit sous la gorge de Shuganan :
— Y en a-t-il d'autres ? gronda-t-il.
— Non, répondit Shuganan avec calme.
Il n'avait pas peur. C'était un vieil homme, qu'était la mort pour lui ?
Mais déjà Chagak était à ses côtés, ses petites mains entre les couteaux et la gorge de Shuganan.
— Ne le tue pas, supplia-t-elle, c'est moi qui ai caché ces couteaux.
— Que dit-elle? demanda Homme-Qui-Tue.
— Elle te demande de ne pas me tuer.
Homme-Qui-Tue se mit à rire en retroussant
ses lèvres de sorte que ses canines ressortaient.
— Je ne suis pas aussi stupide, déclara-t-il. Pourquoi te tuerais-je? Il est plus facile de te faire souffrir.
Il bascula Shuganan et fit courir la pointe des couteaux sur son cou, traçant ainsi trois lignes parallèles. Shuganan serra les dents, mais ne dit rien.
— Te prends-tu pour un chasseur, vieil homme? demanda Homme-Qui-Tue, et, levant son poing, il frappa Shuganan dans le ventre.
Celui-ci se roula en boule, ses bras recouvrant sa tête, le visage contre ses genoux en s'efforçant de retrouver sa respiration. Homme-Qui-Tue le frappa encore. Chagak se mit à pleurer en poussant de petits cris. Shuganan se raidit, prêt à recevoir d'autres coups, mais rien ne vint. Il ouvrit les yeux et vit qu'Homme-Qui-Tue attendait qu'il levât la tête pour le frapper sur la bouche. Shuganan roula sur lui-même pour se mettre hors de portée, en étanchant de ses deux mains le sang qui coulait de son cou. Puis il vit Chagak se jeter sur Homme-Qui-Tue en le frappant de ses deux poings et en le repoussant de sa tête baissée.
— Non, Chagak ! dit Shuganan d'une voix que la douleur rendait rauque.
Homme-Qui-Tue saisit une des mains de Chagak, mais elle le griffa de l'autre au visage. Il laissa tomber les couteaux et gifla Chagak avant de la frapper sur le ventre.
— Non ! cria encore Shuganan, mais Homme-Qui-Tue continua à frapper sans paraître entendre.
Alors Shuganan se jeta contre lui. Ses côtes lui firent mal quand il frappa et pendant un instant il en eut le souffle coupé, mais il se baissa pour ramasser un des couteaux. Homme-Qui-Tue s'en empara le premier et le porta à la gorge de Chagak.
La jeune fille était étendue, immobile, son visage saignait, ses yeux grands ouverts ne cillaient pas et Shuganan eut l'impression que sa respiration s'était arrêtée, mais elle parut reprendre son souffle.
Shuganan lut la colère sur le visage de leur tourmenteur, mais dans le calme revenu, il dit :
— Tue-la.
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