Ma mère la terre - Mon père le ciel
dos tourné, Shuganan se contenta de sourire.
Chagak enfouit la sculpture de Shuganan dans son tablier et posa la tête contre l'escalier. Sa mâchoire était douloureuse à l'endroit où Homme-Qui-Tue l'avait frappée et ses dents étaient ébranlées de ce côté de sa joue. Elle frissonna à l'idée de devenir sa femme et un faible espoir lui vint. Peut-être que les animaux marins le noieraient. Peut-être y aurait-il un terrible orage.
— Non, dit-elle à haute voix, et elle entendit le mot se répercuter en écho contre les murs de l'ulaq. Shuganan est avec lui.
D'abord, après le départ des hommes, elle s'était débattue avec les cordes qui l'attachaient, mais Homme-Qui-Tue les avait nouées de telle sorte que plus elle tirait, plus elles se resserraient. Maintenant ses pieds et ses mains enflés, les cordes étaient si serrées que chaque mouvement était une souffrance. La corde qui liait ses poignets à la poutre était assez longue pour lui permettre de s'agenouiller et d'atteindre le sol, mais même s'il n'y avait eu la souffrance, avec ses deux mains si solidement attachées, il lui aurait été difficile de faire quoi que ce soit, même gratter les peaux que Shuganan avait étendues devant elle. Et si elle oubliait ses liens et essayait de pousser le grattoir trop loin, les liens se resserraient encore.
Chagak porta la sculpture contre sa joue et pensa au vieil homme qui la lui avait donnée. Elle se demandait souvent comment il avait appris la langue d'Homme-Qui-Tue. Avait-il été commerçant ?
Oui, songea-t-elle, en regardant les étagères garnies de ses sculptures. Les hommes donneraient beaucoup de fourrures pour posséder une ou deux de ces figurines — animaux en ivoire, hommes sculptés dans de l'os, si réels que parfois Chagak sentait leur esprit peser sur elle et éprouvait le besoin de quitter l'ulaq rien que pour être seule.
A nouveau elle étudia la figurine que Shuga-nan lui avait donnée. Tout d'abord quand il la lui avait glissée dans la main, elle avait vu Homme-Qui-Tue la regarder de son air rusé, elle avait éprouvé de la colère. Certes, il y avait bien longtemps, elle avait souhaité être une épouse et une mère, mais maintenant elle voulait seulement être délivrée d'Homme-Qui-Tue. Puis elle avait remarqué les détails du visage du mari sur la sculpture. Ses yeux étaient écartés, ses pommettes hautes. Son sourire était bon. Ce n'était pas Homme-Qui-Tue.
Elle s'émerveilla que Shuganan ait eu le courage d'accomplir un tel geste. Et si Homme-Qui-Tue l'avait remarqué ? Lui aussi aurait vu que le mari ne le représentait pas, n'était même pas un homme de sa tribu. Il aurait pensé que Shuganan avait utilisé son pouvoir pour choisir un autre homme comme mari pour Chagak, quelqu'un de bon et doux.
« Je dois le cacher », avait-elle pensé. Mais où?
Il n'y avait pas de cachette sûre dans cette pièce, mais si elle la portait sous son suk, quand les hommes reviendraient et la détacheraient, elle trouverait peut-être un endroit où la dissimuler avant qu'Homme-Qui-Tue ne la voie.
Chagak fouilla dans son panier à couture et trouva des boyaux. Elle en détacha trois longueurs qu'elle tressa avant d'en entourer la sculpture. Puis elle l'attacha contre l'amulette du shaman qu'elle portait autour de son cou. En serrant la sculpture entre ses mains, elle sentit qu'elle était chaude comme si elle était vivante. Elle la pressa contre sa joue et soudain elle s'avisa d'un autre détail à la base. Elle l'approcha de la lampe. La lumière faisait ressortir un cercle dans l'ivoire avec une entaille tout autour.
A l'aide de son ongle, Chagak s'efforça de soulever ce morceau d'ivoire qui finit par se déta-cher, révélant un long espace creux. Elle retourna la figurine et la secoua, mais rien ne tomba. Pourquoi Shuganan avait-il creusé un trou dans cette figurine ? Était-ce pour y cacher un objet sacré ? Elle glissa son doigt dans le trou et sentit quelque chose de mou. Avec l'ongle de son petit doigt, elle réussit à extraire quelques duvets entassés au fond du creux. Elle retourna la figurine et la secoua encore, mais, bien que rien ne tombât, quelque chose bougea à l'intérieur. Elle retira encore quelques plumes et finalement en frappant la sculpture contre le sol elle délogea un dernier petit paquet.
Il était enveloppé d'un morceau de peau si fine qu'il glissa par terre. Chagak le ramassa, l'ouvrit soigneusement et sursauta. C'était une lame
Weitere Kostenlose Bücher