Ma mère la terre - Mon père le ciel
fut à portée de l'autre. Homme-Qui-Tue leva sa pagaie et frappa violemment les côtes de Shuganan.
— Tais-toi, vieil homme, répéta-t-il à voix basse.
Shuganan entendit une de ses côtes craquer et sentit l'air sortir brusquement de ses poumons. Il resta assis, immobile, essayant de reprendre sa respiration, et finit par saisir la pagaie en craignant qu'elle ne lui échappe des doigts.
— Deux phoques, répéta Homme-Qui-Tue comme si rien ne s'était passé.
Il détacha un de ses harpons, contrôla l'élasticité du filin.
— Deux phoques, répéta-t-il. Et je vais les avoir tous les deux.
Chagak poussa l'ik dans l'eau claire de la mare qui s'étendait comme un arc presque au centre de la plage et dont une extrémité rejoignait la mer. C'était un bon endroit pour lancer une embarcation quand il n'y avait personne pour aider.
Elle avait sorti ses provisions de l'ulaq et les avait empilées sur la plage près de la mare. En remplissant l'ik, elle attacha la plupart des provisions aux côtés de l'embarcation afin d'éviter de les perdre.
Quand tout fut arrimé, elle se rendit à la cave où Shuganan conservait son ikyak. Elle prit une pagaie supplémentaire, des babiches et des peaux huilées servant aux réparations. Elle prit aussi un tube à écoper. Ce long tube flexible était constitué par un morceau de bambou, une plante qui échouait souvent sur leur plage. En aspirant l'eau avec ce tube creux et en la jetant par-dessus bord, on pouvait écoper d'une main et diriger l'embarcation de l'autre.
Elle étendit ensuite une peau de phoque à l'endroit où elle allait s'asseoir, puis elle retira son suk et le lança au fond de l'embarcation. En pataugeant dans la flaque d'eau elle tira l'ik vers la mer.
Les vagues frappèrent ses jambes et les galets pointus écorchèrent ses pieds, mais elle continua à marcher jusqu'à ce qu'elle ait de l'eau à la taille. Puis elle saisit le bord de l'ik, se glissa à l'intérieur et se mit à pagayer.
Elle dirigea son ik face aux vagues en employant toute sa force pour conserver la proue au milieu de l'écume, mais quand elle se trouva dans les eaux plus profondes, elle fut entraînée par le courant. Elle laissa l'embarcation flotter et enfila son suk, plumes à l'intérieur pour être plus au chaud.
Shuganan croisa les bras sur sa poitrine et se tint les côtes. Chaque respiration était douloureuse, comme si ses côtes s'étaient détachées de sa colonne vertébrale.
Homme-Qui-Tue avait guidé son ikyak plus près des phoques et Shuganan souffrait tellement qu'il était incapable de lutter contre lui. La respiration courte, il pressa ses mains le long de sa poitrine et prit une longue aspiration.
Homme-Qui-Tue fixa le bout de son harpon sur son lance-harpon. Celui-ci avait la longueur d'un avant-bras d'homme et était large d'une demi-main. Très semblable au lance-harpon de Shuganan, il était garni d'un trou pour l'index et d'une encoche pour la paume de la main. Des représentations de phoques et de chasseurs étaient peintes sur le manche alors que celui de Shuganan était gravé.
Homme-Qui-Tue tenait le lance-harpon à bout de bras, l'extrémité posée sur son épaule, ce qui augmentait la longueur et par conséquent la force du dispositif.
Ils étaient assez près des animaux pour que Shuganan pût voir leur fourrure. C'étaient des phoques velus, et par conséquent de plus grande valeur autant pour leur chair que pour la solidité de leurs peaux.
Homme-Qui-Tue recula dans l'ikyak, le bras plié, et murmura « Ils sont deux ! » et il se mit à rire tout seul. Shuganan se demanda ce qui le faisait rire. La pensée de Chagak nue dans son lit? L'idée de ramener Shuganan à son chef? Et soudain sa colère fut plus forte que sa souffrance. Il saisit sa pagaie à deux mains et oubliant sa douleur l'enfonça légèrement dans l'eau, raccourcissant la distance entre les deux embarcations. Maintenant il était assez près pour toucher l'autre ikyak avec sa pagaie, il ne pensait pas qu'Homme-Qui-Tue ait vu ou entendu quoi que ce soit, tant il était absorbé par les phoques.
Effectivement il détacha un second harpon et le tint dans sa main gauche, tandis qu'il se préparait à tirer avec la droite.
Ils étaient dans le creux d'une vague, tout était tranquille et gris autour d'eux, le ciel, la mer. Shuganan agrippa sa pagaie à deux mains et la souleva comme une arme. Homme-Qui-Tue attendit d'être sur la crête d'une vague pour lancer son
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