Ma mère la terre - Mon père le ciel
l'avait rencontrée au cours d'un voyage de troc et il avait donné un paquet de fourrures et son bel ikyak pour l'obtenir. Kayugh la désirait vraiment et il avait supporté les quolibets des autres hommes quand, ayant perdu son ikyak, il avait ramené sa nouvelle épouse dans un ik de femme.
Et elle aussi avait été une bonne épouse, bien qu'elle fût moins douée que Jambe Rouge pour la couture et la cuisine.
Mais Jambe Rouge était maintenant morte depuis dix jours. Elle était tombée de son ik en ramassant des patelles sur les rochers et, bien que Kayugh se soit jeté à l'eau et l'ait ramenée sur la plage, les esprits de l'eau lui avaient retiré son souffle avant qu'elle ait pu gagner le rivage.
Il n'existait pas d'ulaq des morts, aussi l'avait-on laissée à l'extrémité de la plage, en déposant des pierres sur son corps. Mais souvent au cours des jours suivants Kayugh avait senti son esprit près du sien et, tout en sachant que l'esprit de Jambe Rouge ne lui ferait jamais de mal, il se demandait si elle ne chercherait pas un compagnon, ou si elle savait que la mort viendrait bientôt prendre l'un d'eux et qu'elle attendait afin de ne pas faire seule le voyage jusqu'aux Lumières Dansantes.
Mais ce n était peut-être pas Blanche Rivière qui allait mourir, mais l'une des autres femmes. Kayugh réfléchit au petit groupe qui constituait son peuple. Sans en avoir le titre, mais en raison de ses qualités, il était considéré comme le chef. Les autres attendaient ses décisions. Il y avait huit adultes, trois hommes et cinq femmes, deux enfants. Non, pensa Kayugh, il ne restait que quatre femmes maintenant que Jambe Rouge était morte et, parmi les quatre restantes, il n'y en avait pas une qu'il n'aurait pas regrettée.
Kayugh posa ses bras autour de ses genoux redressés et regarda la mer. On était au début de l'été. Ils devaient attraper des phoques afin de mettre des provisions de côté pour l'hiver. Autrement comment survivraient-ils ?
Soudain lui vint une pensée inattendue. Pourquoi vivrions-nous? Il se frotta les yeux. Il était fatigué, inquiet. Sa première femme était morte et il craignait de perdre la seconde. Voilà tout. Il n'y avait aucun esprit l'incitant à rejoindre les hommes et les femmes de sa tribu qui avaient gravi la montagne, refusant de manger et attendant la mort quand leur village avait été anéanti par une vague gigantesque.
Cette vague avait enlevé le père de Kayugh, ses trois frères et sa sœur. Personne n'avait perdu davantage d'êtres chers que lui. Mais quand un chasseur décidait-il qu'il était temps de mourir alors qu'il était encore jeune? D'autres avaient besoin de son habileté à la chasse et à trouver une autre plage.
Aussi avait-il conduit son peuple vers l'ouest mais il avait vogué vers les îles du nord plutôt que vers celles du sud. Les hivers étaient plus rudes, mais les chasseurs qui se trouvaient là disaient qu'il y avait moins de raz de marée, arrivant la nuit, détruisant les villages et tuant les gens.
Il y avait moins de coquillages à ramasser pour les femmes, moins d'œufs, moins de racines, avait dit Oiseau Gris, mais Kayugh écoutait rarement Oiseau Gris. C'était un petit homme, sans grande force physique et à l'esprit mesquin et faible.
Mais si Oiseau Gris avait discuté les décisions de Kayugh, en revanche, Longues Dents les avait approuvées. Longues Dents était un brave homme, toujours prêt à rire et à plaisanter, laissant les autres parler de leurs succès à la chasse. Kayugh appréciait son jugement.
De l'endroit où il était assis, Kayugh voyait Longues Dents occupé à réparer son ikyak. La coque était retournée et Longues Dents passait de la graisse sur les coutures.
Longues Dents était un homme aux épaules étroites et aux hanches larges. Ses bras étaient longs et de tout le village c'était lui qui était capable de lancer son harpon le plus loin.
Premier Flocon, le fils de Longues Dents, travaillait à côté de lui. Le petit garçon avait déjà presque huit hivers. Bientôt il deviendrait un chasseur. Longues Dents n'était pas le père de Premier Flocon par le sang, il l'avait adopté quand, des années plus tôt, un raz de marée avait déjà anéanti leur premier village. La grande vague avait enlevé le propre fils de Longues Dents et noyé les parents de Premier Flocon. A l'encontre de Longues Dents, Premier Flocon était petit et trapu, puissant, même pour un petit garçon. Malgré
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