Ma mère la terre - Mon père le ciel
s'agenouilla derrière le foyer. La baleine limitait son champ de vision. La peau noire et épaisse et la couche de graisse avaient été enlevées. Des mouettes se perchaient sur le haut de la carcasse, arrachant des lambeaux de chair rouge, mais il n'y avait pas de petits garçons pour courir sur cette plage et les chasser avec de longs bâtons ou en leur lançant des pierres. Une partie du contenu de l'estomac de la baleine s'était déversée sur les galets et du sang tachait l'eau.
Chagak avait sorti tous les matelas d'herbe et les rideaux tissés de l'ulaq et les transformait en sacs de stockage. Shuganan coupait du petit bois et en faisait de gros tas afin d'entretenir le feu.
Durant la nuit ils prendraient un tour de garde pour surveiller les feux et remettre des pierres chaudes dans l'eau.
Demain, si la mer répondait aux désirs de Shuganan, ils dépouilleraient le reste de la baleine et détailleraient la viande pour la mettre à sécher.
Cette baleine avait été un merveilleux cadeau, mais Chagak ne put s'empêcher de penser à la célébration qui aurait eu lieu dans son village en pareille occasion, les danses, les chants, la joie de nombreux feux allumés tout le long de la plage. Et bien que Shuganan et elle se soient réjouis, c'était une joie tranquille, un chant de l'esprit. Qui pouvait dire ce qui était le mieux? Avec une certaine perversité, Chagak aurait voulu avoir les deux.
*
— Il y a une baleine échouée sur cette plage, dit Kayugh en approchant son ikyak de celui de Longues Dents.
Mais avant qu'il ait pu en dire davantage, Longues Dents annonça la nouvelle à Oiseau Gris et aux femmes. Kayugh immobilisa son ikyak et secoua la tête. Il essaya de dominer le tumulte des voix excitées et finalement, plaçant son ikyak près de celui des femmes, s'écria :
— Attendez ! Certes, il y a une baleine, mais il y a aussi un vieil homme.
— Un vieil homme ! ricana Oiseau Gris.
— Il est en train de dépecer la baleine. Il allume des feux pour faire fondre la graisse.
— Qu'importe ! dit Oiseau Gris, qu'est-ce qu'un vieil homme ? Nos femmes peuvent s'occuper de lui.
— Si la plage lui appartient, la baleine est à lui, répondit Kayugh. Peut-être nous laissera-t-il y rester — mais il y a le risque qu'il considère notre arrivée comme une menace.
— Il ne verra rien s'il est mort, déclara Oiseau Gris.
— Et si c'est un shaman? demanda Longues Dents. Et si c'est lui qui a appelé la baleine sur sa plage? Veux-tu te faire l'ennemi d'un tel homme? Que te fera-t-il s'il est capable de tuer une baleine?
Oiseau Gris ne répondit pas et se pencha sur son ikyak comme s'il voyait un petit accroc dans la coque.
— Laissez-moi y retourner seul, dit Kayugh. Établissez un camp près de cette baie et, si je ne reviens pas, ne venez pas à ma recherche.
Se tournant vers Coquille Bleue, il ajouta :
— Ne t'inquiète pas pour mon fils. Si je meurs je l'emmènerai avec moi dans le monde des esprits.
A Nez Crochu il expliqua :
— J'ai donné Baie Rouge à Longues Dents. Désormais elle sera sa fille.
Nez Crochu acquiesça et prit l'enfant sur ses genoux.
Kayugh fit tourner son ikyak et s'éloigna lentement au milieu des vagues.
*
Il faisait presque nuit et Shuganan souffrait des bras et des jambes, mais c'était une bonne fatigue. Chagak avait transporté les matelas d'herbe et le berceau du bébé sur la plage. Ils installèrent un camp dans l'herbe au-dessus des marques de la marée, près du foyer. Le mouvement des vagues n'avait pu entraîner la baleine et la marée n'était pas montée au-delà des ailerons.
En utilisant un axe et un couteau, Shuganan détachait maintenant les os de la mâchoire. C'était un travail délicat et il se rendait compte qu'il ne pourrait découper toute la mâchoire avant le coucher du soleil.
« Si la mer nous accorde encore six ou sept jours, pensa-t-il, nous aurons assez de viande et de graisse pour deux hivers. »
Il semblait que ses bras étaient devenus plus forts en travaillant et il commençait à espérer que Chagak pourrait lui faire un chigadax avec la peau de la langue de la baleine. Il se mit à espérer qu'il allait pouvoir chasser de nouveau quand les jeunes phoques commenceraient à nager près de là. Il pourrait utiliser de nouveau son ikyak.
Lorsqu'il sentit une présence derrière lui, il pensa que Chagak était revenue l'aider et il dit :
— Apporte-moi une lampe.
Mais quand il se retourna, il vit
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