Ma mère la terre - Mon père le ciel
d'elle-même.
— Maintenant il faut lui dire son nom, dit Shuganan avant de recommencer à chanter.
En tant que mère, Chagak avait l'honneur de choisir le nom de son fils et elle se pencha près de l'enfant, ses cheveux tombant autour de lui comme un rideau. « Tu es Samig », chuchota-t-elle afin qu'il fût le premier à apprendre son nom, afin qu'il reçût la protection de son nom avant tout autre esprit, avant même le vent et la mer. « Tu es Samig », répéta-t-elle encore pour être sûre qu'il avait bien entendu.
Puis elle souleva l'enfant face au vent et répéta son nom comme Shuganan le lui avait dit. « Cet enfant est Samig », dit-elle à la terre et au ciel, au vent et à la mer, à Aka et à Tugix, à la baleine et à Shuganan. « Samig » — Couteau. Quelque chose qui pouvait détruire ou créer, quelque chose qui, comme un homme, pouvait apporter le bien ou le mal.
Pendant un moment, Shuganan la fixa, comme s'il était surpris par sa voix, comme s'il n'avait pas compris ce qu'elle disait, mais il plaça la main sur la tête de l'enfant :
— Samig, dit-il, et, en élevant la voix, il se tourna vers Tugix pour répéter : Samig.
29
Le peuple de Kayugh avait passé la dernière nuit sur une plage étroite, un endroit dangereux, bordé par des murs de rochers arides. Chaque homme tenait son ikyak prêt et les femmes se blottirent sous leur ik. Au cours de la nuit les hommes prirent leur tour de garde, surveillant la mer, espérant avoir le temps de prévenir si l'eau montait au-dessus des limites de leur camp.
Kayugh fut le dernier à prendre la veille. En regardant chaque vague, il priait pour que les esprits contrôlent la mer et le vent.
Finalement le soleil se leva, pâle et voilé de nuages. Les femmes s'étaient réveillées pour préparer le premier repas, mais Kayugh continuait à surveiller la mer. Il entendit un faible vagissement et le cri de son fils affamé lui brisa le cœur.
Pendant un moment il regarda Nez Crochu et
Coquille Bleue plonger leurs doigts dans un bouillon de poisson et laisser le bébé sucer les gouttes, mais, très vite, il détourna la tête.
Pendant les trois premiers jours après la mort de Blanche Rivière, le bébé avait crié continuellement et Kayugh avait redouté que les hommes exigent sa mort pour que ses gémissements n'effraient pas les animaux ou les poissons, mais heureusement, les cris étaient devenus faibles, assourdis encore par les fourrures qui l'entouraient.
— Ta mère va venir te chercher, avait dit Kayugh à l'esprit de l'enfant. Elle va venir te
chercher et alors tu ne souffriras plus.
*
Après la cérémonie de l'attribution du nom, Shuganan jeta une corde sur la baleine et l'amarra aux rochers des deux côtés. S'aidant de la corde Chagak grimpa et, allant de la tête à la queue, découpa un morceau de la peau épaisse pour atteindre la couche de graisse dans laquelle elle pratiqua une longue incision jusqu'à la queue.
A deux reprises, au cours de l'opération, elle glissa et tomba sur la plage. La seconde fois, elle retira le bébé de son suk et l'installa dans un endroit abrité au pied de la falaise.
Puis elle pratiqua des entailles de la longueur d'un bras d'homme, divisant la peau de la baleine en dix sections. En haut de chacune elle fit deux trous, attacha une corde à travers chacun et la fit glisser le long du côté de la baleine. Avec l'aide de Shuganan elle saisit la corde pour retirer la couche de graisse de la carcasse qu'elle transporta avec la peau et déposa le tout dans l'herbe, près de l'ulaq, au-delà de l'atteinte des vagues.
Depuis que la baleine était morte, la chaleur de la décomposition était suffisante pour accélérer la fermentation de la chair. Pendant que Chagak travaillait, l'odeur était telle que son estomac commença à protester, mais en voyant Shuganan continuer à tirer en s'aidant même de sa main gauche, elle s'efforça d'oublier l'odeur et les blessures de ses mains et de ses paumes provoquées par les cordes. Lorsqu'ils eurent retiré les derniers morceaux de graisse, Shuganan déclara :
— Je vais enlever ce qui reste. Découpe un morceau de viande, j'ai faim.
Chagak sourit et lui lança la corde, puis elle découpa un gros morceau de chair qu'elle porta dans l'ulaq.
Avec son couteau de femme, elle coupa de petits bouts de viande et les tint un par un au-dessus de la flamme de la lampe à huile. Puis elle rangea les morceaux dans un panier et le porta à Shuganan. Ils
Weitere Kostenlose Bücher