Ma mère la terre - Mon père le ciel
provisions. Elle tira les rideaux et les souleva afin que les femmes puissent y mettre leurs propres réserves.
— Je m'appelle Nez Crochu, dit la femme. Puis elle désigna la petite fille assise sur ses genoux : voici Baie Rouge, la fille de Kayugh.
— Je suis heureuse que tu sois venue, Baie Rouge, dit Chagak, mais la fillette tourna son visage contre la poitrine de Nez Crochu.
— Le petit garçon est-il aussi le fils de Kayugh? demanda Chagak.
— Non, répondit Nez Crochu, Premier Flocon est mon fils. Mais Kayugh a bien un fils. Coquille Bleue s'occupe de lui. Il est malade.
Coquille Bleue leva les yeux.
— Il est très faible, soupira-t-elle, et je n'ai pas de lait. Mon mari n'est pas content que je m'occupe de cet enfant. Il dit que cela pourrait apporter une malédiction sur nos propres enfants.
— J'ai du lait, dit Chagak, mais les paroles de Coquille Bleue l'avaient mise mal à l'aise.
Le fils de Kayugh pourrait-il transmettre sa faiblesse à Samig? Mais la voix de la loutre lui souffla : « Tu as promis à Kayugh de t'occuper de l'enfant. »
Coquille Bleue souleva son suk et en sortit le bébé. Tout d'abord le regard de Chagak se porta sur le ventre rond de Coquille Bleue. La jeune femme était enceinte et près d'accoucher. Puis elle vit l'enfant. Il ressemblait à un petit vieux. Ses yeux et son ventre étaient trop gros pour ses bras et ses jambes décharnés. Depuis quand n'avait-il rien absorbé?
Coquille Bleue détacha la bandoulière qui rete-nait l'enfant et ouvrit un paquet posé à côté d'elle. Elle en sortit une fourrure et une peau de phoque propres pour accrocher la bandoulière et tendit le tout à Chagak. Samig était suspendu à l'épaule droite de Chagak. Elle passa l'autre bandoulière sur son épaule gauche et prit le fils de Kayugh qu'elle installa avant de lui tendre son sein. Elle dut lui presser les joues pour lui faire ouvrir la bouche et attendit avec quelque anxiété jusqu'à ce qu'elle sente une faible succion. Le bébé ouvrit les yeux comme s'il était surpris que ce simple geste ait rempli sa bouche, mais il continua à téter en s'accrochant à son sein des deux mains.
Coquille Bleue retourna au centre de l'ulaq et prit place à côté de Nez Crochu. Elles se mirent à parler mais à voix si basse que Chagak n'entendit pas ce qu'elles disaient. Soudain elle se sentit seule et gênée comme si c'était elle qui était en visite dans l'ulaq.
Les femmes se mirent à rire et même la plus timide leva la tête. Chagak craignit brusquement qu'elles ne parlent d'elle, aussi se détourna-t-elle et s'occupa-t-elle du bébé de Kayugh. Il n'avait pas assez de force pour téter continuellement. Il lâchait le sein et laissait sa tête aller en arrière, les yeux clos, avant de revenir chercher la manne nourricière.
Chagak baissa son suk, recouvrant le petit bébé. Elle jeta un coup d'œil vers les autres femmes et vit que Coquille Bleue la regardait. Elle lut le soulagement dans ses yeux, mais il semblait que le soulagement de Coquille Bleue fût devenu le souci de Chagak.
La loutre chuchota : « Cet enfant va mourir. »
— Non ! dit Chagak si vivement qu'elle eut une soudaine vision de la loutre quittant le rivage pour aller se réfugier dans la mer en se retournant sur le dos devant la violence de Chagak.
Mais celle-ci ne put s'empêcher de penser que la loutre avait raison. Le bébé n'avait même pas pleuré quand Coquille Bleue l'avait retiré tout nu de la chaleur de son suk. Un enfant qui n'a plus la force de pleurer, pouvait-il vivre?
Chagak tint ses mains sous son suk et caressait doucement la tête de l'enfant dès qu'il cessait de téter, puis elle caressa également Samig, contrôlant si ses jambes et ses bras restaient bien fermes et dodus, s'assurant que le fils de Kayugh ne retirât pas la force de son fils en tétant son lait.
Elle garda la tête baissée, aussi ne vit-elle pas Coquille Bleue s'approcher pour demander :
— Est-ce qu'il tète ?
La question fit sursauter Chagak et son cri de surprise fit rire Coquille Bleue. Mais Chagak n'y vit aucune raison de sourire, son ulaq rempli de ces femmes étrangères, un bébé mourant suspendu à sa poitrine. Pourquoi Shuganan avait-il accepté de laisser ces gens rester ?
Cependant Coquille Bleue ignorait ses pensées et se mit à bavarder à propos de la carcasse de la baleine et de la viande à mettre à sécher.
Chagak ne désirait pas voir les autres femmes se mêler de ses
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