Ma soeur la lune
bébés à l'abri puis descendit vers Qakan. Elle s'obligea à ne pas regarder ce qu'il restait de lui et creusa à l'aide d'une roche plate une tombe peu profonde dans le sable, tout près, avant de le pousser dedans avec la même pierre, prenant garde que ses mains ne soient pas marquées de son sang.
Elle le couvrit de cailloux et alla sur la plage se frotter les mains de sable avant de les rincer à grande eau.
Puis elle revint au monticule qui était maintenant Qakan. Sachant que son esprit était là avec son corps, incapable de se rendre dans les Lumières Dansantes puisque le Corbeau l'avait découpé, elle dit:
— Toute ta vie, Qakan, tu m'as reproché tes propres choix. Ainsi, tu as tué Cheveux Jaunes. Pour quelle raison? Sous l'effet de la colère? Pour montrer ton pouvoir? Tu n'as aucun pouvoir, Qakan. Tu n'en as jamais eu. Tu as utilisé toute la force de ton esprit pour haïr les autres au lieu de devenir ce que tu aurais dû être.
Elle se retourna et grimpa vers les collines, où l'attendaient ses bébés. Mais, une fois au pied des collines, elle pivota sur elle-même et s'écria :
— Je reviendrai dans notre village, Qakan. Mes fils appartiennent à Amgigh et Samig. Ils ne sont pas maudits. Tu n'as jamais été assez fort pour porter la moindre malédiction.
Ce n'est que lorsqu'elle eut ses deux bébés dans les bras qu'elle s'aperçut qu'elle avait parlé sans bégayer, que ses mots étaient venus aussi facilement que ses chants, qu'ils avaient coulé aussi lisses que l'eau sur le sable.
62
La voix vint. Quelque chose qui faisait partie de ses rêves, une voix plaintive. Kiin se réveilla, s'assit sur son séant, écouta. Non, rien. Seulement les vagues sur le rivage, seulement le bruit du vent filant sur les nattes de son abri, s'infiltrant dans la pile de bois cassé et les peaux déchirées, restes de l'ik de Qakan.
Kiin avait rapporté à l'abri les débris de l'ik et les rares marchandises laissées par le Corbeau. Autant les avoir ici, invisibles de la plage. Il y avait de l'ivoire, quelques brisures de dents de baleine et un fragment d'os de mâchoire. Ainsi qu'une peau de poisson séché; en l'ouvrant, elle s'aperçut avec dégoût que le sac était rempli moitié de poignées d'herbe et moitié seulement de poisson. Qakan. Toujours à chaparder.
Kiin avait creusé un trou près de son abri, engrangé le poisson et les morceaux de couverture d'ik assez grands pour être utiles; puis elle avait recouvert le tout de nattes d'herbe.
Ayant achevé avant la nuit, elle se reposa, fredon-nant pour ses bébés et, tandis que son esprit était pris dans les mots de la chanson, ses mains agitées cherchaient à s'occuper. Elle sortit de son fourreau le couteau que le Corbeau lui avait donné et ramassa un bout de bois cassé d'un des bancs de nage de l'ik. D'abord, elle se contenta de tailler, tranchant dans la peinture ocre et le jaune pâle du montant.
Bientôt, elle s'aperçut que ses mains fabriquaient un ikyak, faisaient jaillir un bateau d'un morceau de bois comme un homme sortait ses pieds d'une paire de bottes en peau de phoque.
— Un ikyak, dit-elle.
Puis elle laissa la sculpture participer à la mélopée.
Elle chanta pour Shuku, pour Takha.
Vous aurez un ikyak
Ce sera un autre frère.
Ensemble vous le construirez;
Ensemble vous irez en mer; Vous chasserez; vous chasserez;
Tous trois, ensemble, frères.
Elle chanta et sculpta jusqu'à ce que la seule lumière vienne de la lune montante. Puis elle s'endormit. Puis la voix de Qakan... La voix de Qakan...
« Qakan est mort. Son âme est prisonnière dans sa tombe, lui dit son esprit. C'était un rêve. »
Kiin posa la main sur le dos de Shuku, puis sur celui de Takha. Les deux bébés dormaient, le souffle lent et doux.
Allongée, arrachant de son esprit toute pensée de Qakan, elle réfléchissait à ce qu'elle ferait le lendemain, les pièges à oiseaux qu'elle disposerait. Elle devait attraper autant d'oiseaux que possible. Sécher leur viande. Garder leur graisse pour l'huile de l'hiver. Si les Premiers Hommes ne venaient pas sur cette île ou si les Hommes Morses accostaient et qu'elle dût se cacher pendant les jours de négoce, elle serait peut-être obligée de passer l'hiver ici. Comment ses bébés et elle vivraient-ils sans huile, sans viande?
Le Corbeau avait réduit l'ik de Qakan en morceaux si petits qu'il était irréparable, et même en péchant sur la plage, elle n'attraperait pas autant de
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