Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Madame Catherine

Madame Catherine

Titel: Madame Catherine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Franck Ferrand
Vom Netzwerk:
ou astiquer un chaudron, ou simplement plier un torchon, était à chaque fois une leçon de vie. Françoise se disait parfois qu’elle n’imaginait pas l’existence sans elle, et que la maison, sans sa présence active, indéfectiblement bienveillante, lui aurait paru très vide, soudain, et comme privée d’âme.
    — Dans quel sens veux-tu...
    — Comme ça, mademoiselle, avec le pli rataplat, voyons-nous ?
    Françoise retint un sourire, mais elle fît le pli « rataplat ». À seize ans bientôt, elle songeait souvent à la maison qu’elle devrait tenir, elle aussi, tôt ou tard ; or cette perspective lui brisait le coeur. Chasser la grive, chevaucher des heures durant, aider son oncle Simon à reposer des ardoises déplacées par la tempête, tout cela lui plaisait. Mais à la seule idée d’avoir à repriser des chausses ou à torcher une marmaille, de sombres pensées l’envahissaient. « Je ne suis pas prête, se disait-elle, voilà tout. Cela finira bien par venir... »
    — Attention, mademoiselle, votre rabat, votre rabat !
    Françoise pensa soudain que Nanon pouvait aussi se révéler crispante.
    — L’autre a encore passé la matinée dans sa cuve, à l’office ! observa la servante avec une pointe de fiel.
    — « L’autre », Nanon ?
    — L’autre, enfin, l’autre, voyons-nous ?
    — Tu veux dire M. La Forest..., devina Françoise.
    — Oui, mademoiselle. Ça ne me regarde pas, mais si j’étais monsieur votre père, je me méfierais comme d’une peste de ce furonque.
    — « Oncle », Nanonette.
    — Oui... Voyons-nous ?
    — Ce gentilhomme aime prendre des bains, s’amusa Françoise. Je ne vois pas où est le mal... De plus, il forme de grands projets pour la Vraie Religion, et je sais que mon père l’apprécie pour cela.
    — Votre oncle, monsieur Simon, est catholique ; ça ne l’empêche pas d’« apprécier » lui aussi ce monsieur. Et même plus que quiconque, voyons-nous ?
    — Attends : qu’essaies-tu de me dire ?
    Mais la servante avait disparu, comme appelée soudain par quelque tâche urgente.
    — Nanon !
    Françoise haussa les épaules. Le penchant de son oncle pour les messieurs était, dans la maison, à peu près aussi secret que devait l’être, au Louvre, le goût du roi pour Mme de Valentinois. Mais alors que les courtisans parlaient beaucoup de ce goût-ci, on n’évoquait jamais ce penchant-là chez les Coisay.
    La jeune fille se promit d’approfondir ce qui, visiblement, troublait Nanon ; car en dépit des apparences, la brave femme ne s’inquiétait jamais sans raison. Aux yeux de Françoise, elle avait plus ou moins remplacé une mère jamais connue – la pauvre femme ayant donné sa vie pour la mettre au monde... C’était en 1535, huit ans à peine après le mariage de ses parents. Avec sa grande soeur, aujourd’hui mariée, Françoise avait été élevée par ses tantes. Mais en vérité c’est Nanon qui s’était chargée de l’essentiel : un amour, une présence, une vigilance de tous les instants...
    Elle saisit sur une table le miroir à main que son oncle lui avait offert pour ses quatorze ans, et vérifia que la nuit ne lui avait rien ôté de ses appas. Un regard y suffit : son beau visage oblong était toujours là, ainsi que sa peau fine et douce, ses pommettes un rien saillantes et son petit nez mutin. Des yeux en amande, à l’éclat vert tendre un peu trouble ; des cheveux sains et soyeux, d’un blond vénitien hérité de son père ; enfin l’attache du cou, tellement gracieuse, juste sous l’adorable petit menton digne du maître de Cloux {11} ...
    — Françoise ?
    Gautier de Coisay venait de passer la tête dans la pièce où se contemplait sa fille. Elle reposa le miroir en vitesse.
    — Bonjour, « not’maître » ! lança-t-elle en sautant au cou de son père.
    Elle l’appelait ainsi par moquerie, imitant le respect naïf des métayers locaux.
    — Ma fille, annonça Gautier d’un ton guilleret, tu peux garder ton miroir : il va falloir te faire toute belle ! Je crois en effet le moment venu de t’emmener à la Cour.
    — À la Cour ?
    Depuis qu’elle avait l’âge d’y penser, Françoise avait éprouvé des sentiments mêlés à propos de cette contrée bizarre qu’avaient, naguère, tant fréquentée les frères de Coisay. D’un côté, la concentration de pouvoir, de savoir, de richesse incarnée par la Cour, la fascinait comme n’importe qui ; mais en

Weitere Kostenlose Bücher