Madame Catherine
répondre sur la guerre en Artois, se voyaient détrompés en termes assez vifs.
— Je vous parle de la Toscane !
Depuis des mois, presque des années maintenant, cette héritière de la branche aînée des Médicis plaidait en effet pour que le roi son mari aidât ses fidèles alliés – à commencer par les Strozzi de Milan – à chasser de Florence Côme de Médicis, le cousin détesté. Celui-ci n’était, à ses yeux, qu’un usurpateur à la solde de l’empereur, un obstacle à tous ses droits légitimes...
Seule à la Cour dans de telles dispositions, Catherine eût sans doute pu prêcher longtemps sans succès ! Seulement sa passion italienne rencontra les intérêts bien compris des Guises et, accessoirement, les ambitions – plus fumeuses – de Mme de Valentinois. Aussi s’arrangea-t-on pour entretenir la reine dans sa chimère et pour lui donner toutes les raisons de se faire ouvertement la défenseuse de nouvelles campagnes italiennes.
Le héros de Catherine, le chef de guerre dont elle espérait tout – en dépit de ses airs de petit coq un peu ridicule – était l’inénarrable Piero Strozzi, dont elle avait amené le roi Henri à soutenir les bravades. Tenant déjà Sienne, voilà qu’il prétendait fondre à présent sur Florence, et l’arracher aux griffes de Côme.
— Je tiens à contribuer moi-même au bon succès de ses armes, avait-elle déclaré.
Sur quoi, avec la permission de son mari, elle n’avait pas hésité à gager l’intégralité des domaines auvergnats qu’elle tenait de sa mère ! Aux cent mille écus ainsi réunis – somme déjà faramineuse – Henri ne pouvait faire moins qu’ajouter cent mille autres, et même davantage : comment, après cela, Catherine aurait-elle pu dormir paisiblement, l’âme en paix ?
Las ! Dès la deuxième semaine d’août, un messager survint à Villers-Cotterêts, qui jeta dans les affres tous ceux qui, avertis des enjeux, savaient combien la santé de la reine dépendait des nouvelles d’outre-monts.
— Strozzi est défait, se disait-on à voix basse ; Strozzi s’est incliné devant les Florentins !
C’était présenter bien mollement la terrible défaite de Marciano où, le 2 août, le malheureux Piero s’était fait écharper par les troupes impériales. Lui-même, du reste, très lourdement blessé, avait bien failli laisser la vie dans ce désastre.
Fallait-il en avertir Catherine ?
Un choeur unanime prétendit qu’il convenait surtout de s’en bien garder, que c’eût été la tuer. Ayant laissé parler cette lâcheté première, ministres et courtisans s’interdirent du même coup tout courage postérieur. Et l’on vit cette comédie pathétique d’une cour riant et devisant d’enthousiasme pour mieux cacher l’indicible.
— A-t-on des nouvelles ?
— Non, madame, toujours pas.
— Ce silence est suspect, ne trouvez-vous pas ?
— Suspect, madame ? Mais non... Pourquoi ?
Contre ce concert d’hypocrisie, une voix, une seule, s’éleva. C’était celle de Catherine de Pierrevive, dame du Perron, dame d’honneur de la reine et qui passait – à juste titre – pour son amie. Un matin que la souveraine – étrangement inconsciente de la sinistre farce qui se jouait autour d’elle – s’était laissée aller à plaindre une grande dame à qui sa famille avait caché des revers de fortune, Mme du Perron eut le courage de se risquer.
— On dit toujours, lâcha-t-elle, qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre...
— Certes, mais...
— Madame, je crois que personne n’échappe à cela. Pas même vous.
Catherine connaissait trop sa dame d’honneur pour ne point comprendre qu’une telle sortie cachait forcément quelque chose. Elle demanda des précisions, s’impatienta contre la gêne palpable qui s’empara de l’assistance, exigea de son amie qu’elle aille au bout de sa pensée...
Ainsi fut enfin annoncée à la reine la défaite de Marciano.
Ceux qui avaient prédit des pleurs et des malaises furent confortés. La reine, soudain dessillée, se laissa gagner par une colère extrême contre ce complot du silence qui s’était formé autour d’elle. Perdant le contrôle d’elle-même, elle alla jusqu’à insulter plusieurs dames, en italien ; elle hurlait, tapait des poings, feignait de perdre connaissance. Puis, l’écran de la fureur se dissipant, vint le temps des larmes et des sanglots. Le désespoir de Catherine parut tel aux
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