Madame Catherine
témoins, que plusieurs redoutèrent bel et bien la fausse couche...
Ce soir-là, on vit la reine de France bouder la prière du soir, en signe de révolte envers Dieu ; nul ne s’avisa d’y voir la moindre marque d’hérésie...
Comme au temps maudit où, dauphine, elle ne parvenait pas à perpétuer la dynastie, Catherine voulut noyer son abattement dans la compagnie des mages, des devins et des astrologues qui constituaient, autour d’elle, comme une cour souterraine.
Elle resserra le contact avec ceux qu’elle appelait, en privé, ses « bons sorciers », et n’hésita pas à passer des soirées et des nuits dans la compagnie de figures rarement présentables, rarement catholiques.
La reine, si prompte par ailleurs à défendre l’orthodoxie religieuse, n’hésita pas à faire dire des offices d’un genre très spécial pour le succès de ses entreprises d’outre-monts –, et ce, alors même que tout était perdu et que, de l’avis des plus aventureux, la seule chose à faire avec l’Italie était d’en sortir !
— Que voyez-vous, demandait compulsivement Catherine au mage Ruggieri dont elle sollicitait les dons hors de raison.
— Je vois des choses étonnantes, madame.
— Certes, mais sont-elles bonnes ?
Le devin se tut un instant. Puis, maniant assez bien la langue de « ce pays-ci », il se fendit de la seule réponse qui lui parût pouvoir ménager les attentes royales.
— Bonnes pour certains, dit-il ; moins bonnes pour d’autres.
Catherine était à ce point investie dans les affaires de sa terre natale que, le cas échéant, elle aurait fort bien pu passer, à leur propos, un pacte avec le diable en personne. Cela ne l’empêchait nullement, tous les matins, de prier Dieu pour la punition des hérétiques.
Noyon, place du marché.
Une foule dense avait pris possession de la place, sous un soleil déjà chaud. Les mieux nantis se massaient aux fenêtres, les plus lestes aux poutres de la vieille halle et jusque sur les toits. Le bûcher, avec sa potence, avait été dressé sur un échafaud, bien au centre. On s’y affairait encore à lier des fagots de petit bois... Un foyer crépitait déjà, juste au bas de l’échelle.
Simon, perdu dans la multitude, tentait de se frayer un chemin parmi les dos de tant de curieux plantés là, comme hallucinés autour de la potence. Il se découvrait le prisonnier du pire des cauchemars. Ainsi, la nuit passée, n’avait-il pu dormir ; et pour tromper l’intolérable angoisse, il avait préféré s’en aller galoper des heures sur le coteau de Coisay... Mais en rentrant, au petit matin, il avait trouvé la maison vide et les mulets envolés : Françoise était partie, emmenant Nanon avec elle ! Sans perdre de temps, il s’était donc remis en selle et avait piqué des deux sur la route de Noyon, dans la ferme intention de rattraper sa nièce et de l’arracher, de gré ou de force, au spectacle indicible.
Jamais Simon n’avait pu oublier le supplice infligé, vingt ans plus tôt, à son cher Montecucculi – tenaillé puis écartelé tout vif, à Lyon, sur la place de Grenette {30} . Les bruits de la géhenne, l’odeur même du sang de son ami, le hantaient encore, au point de le réveiller de temps en temps au milieu d’un rêve... Aussi devait-il épargner à Françoise une épreuve à ce point inhumaine et qui, jusqu’à son dernier jour, pèserait sur sa vie.
Mais en voyant la cohue qui avait envahi Noyon, il comprit que retrouver sa nièce serait très difficile. Plus approchait l’heure du supplice, plus la foule grossissait et s’épaississait. Deux ou trois fois, Simon crut apercevoir, à quelques pas, non pas sa nièce, mais la brave Nanon... Ce n’étaient que des leurres ; ces femmes du peuple se ressemblaient tant ! Alors il se prit à désespérer.
Quand le tombereau du condamné, cahotant au gré des pavés, fît son entrée sur la place, soulevant une rumeur grave, Simon fut ramené d’un coup à la rigueur de la situation. De loin, il aperçut le visage de son demi-frère, un rien hagard, les cheveux et la barbe faits. Son beau regard clair, qu’il devina plus qu’il ne le vit vraiment, le transperça comme la première d’une série de flèches incroyablement douloureuses.
Ces derniers jours encore, il avait tout tenté, tout rencontré pour infléchir le sort. Il avait surmonté son dégoût de la Cour, avait pris le chemin de Paris puis de Villers-Cotterêts, et s’était
Weitere Kostenlose Bücher