Madame Catherine
montré chez la reine afin de supplier Sa Majesté d’intercéder auprès de son mari et d’obtenir une grâce si facile à justifier... Mais le roi, qui était à la guerre, n’avait pas – lui dit-on – le pouvoir d’absoudre l’« hérésie ». N’avait-il pas, lors de son Sacre, juré de la combattre, au contraire, et par tous les moyens ?
De sorte que rien n’aboutit, et que Simon, le malheureux petit Simon qui toute sa vie avait adulé cet aîné fort et brave, grand cavalier, fier gentilhomme – lui qui avait aimé Gautier plus que quiconque au monde –, Simon allait devoir, impuissant, assister à son ignoble trépas !
— Oh non, gémit-il tout haut, pourquoi une telle épreuve ?
Il se revoyait adolescent, suivant son frère dans des chevauchées à cru du côté de Compiègne ; on les appelait « les Dioscures » ! Il revivait ce jour où Gautier lui avait sauvé la vie – changeant leurs destinées à tous deux en s’attirant la bienveillance du duc d’Alençon {31} ... Il croyait être encore chez le Grand Sénéchal en son château d’Orcher, quand leur était tombée dessus la plus cruciale des missions. Les Dioscures... Et puis à Poitiers, le soir où Gautier l’avait chassé comme un gueux – sale moment ; à Nérac où ils s’étaient enfin retrouvés – dans la neige ; à Bruxelles, cette nuit où lui, Simon, avait empêché cet idiot – quel idiot – d’attenter à ses jours...
Il aurait voulu sourire ; il grimaçait seulement et pleurait des larmes d’amertume.
La charrette ne passa pas très loin, assez près en tout cas pour qu’il ouvrît la bouche et criât son soutien, son amour à son frère. Il desserra donc les mâchoires, mais aucun son ne voulait plus sortir de sa gorge nouée.
C’est alors qu’un grand cri perça la foule et monta jusqu’au ciel. Sous les yeux impuissants de Simon, la jeune Françoise de Coisay, échappant à la vigilance du guet, avait surgi devant le tombereau et faisait se cabrer le gros cheval. Des gardes eurent tôt fait de se saisir d’elle, mais Gautier eut le temps de la reconnaître et de lui crier un mot de réconfort.
— Adieu, ma petite ! lança ce père d’une voix brisée. Ne te détourne pas de Jésus-Christ !
Simon tenta de suivre des yeux Françoise que les gardes, sans donner d’importance à l’incident, refoulaient déjà derrière le cordon d’archers. S’ouvrant à grand-peine un chemin dans la foule de plus en plus compacte et poisseuse, il parvint à s’approcher d’elle, pas à pas, longeant l’échafaud sous lequel des magistrats semblaient interroger le condamné, une dernière fois. On lui relut aussi la sentence qui le déclarait hérétique, impie, très méchamment hostile aux commandements du Seigneur – mais l’arrêt ne précisait pas que son seul crime tangible était d’avoir possédé des lettres signées de citoyens genevois.
Le curé de Notre-Dame lui présentait une croix à baiser ; il la dédaigna. Alors les aides du bourreau lui retirèrent ses vêtements, hormis sa chemise, et lui lièrent à nouveau les mains dans le dos. Il fut hissé prestement jusqu’à l’estrade, sous les cris et les sifflets de la meute, sous d’innombrables « Jésus-Maria » – en ce 14 août, on s’apprêtait à célébrer la Vierge Marie...
C’est à ce moment que Simon parvint à rejoindre sa nièce. Elle se laissa presque tomber dans ses bras, se faisant toute petite et tremblante et crispée. Elle s’en voulait tellement, à présent, d’avoir passé les deux dernières années en bouderies, en fâcheries contre ce père qu’elle n’avait pourtant cessé d’adorer.
Simon lui baisa l’arrière du crâne ; elle sanglotait, ses mains dans celles de Nanon qui, de son côté, secouait la tête comme pour dire à tous ces étrangers : « Vous ne savez pas ce que vous faites. »
Françoise garda ses beaux yeux grands ouverts quand le bourreau passa la corde autour du cou de son père. Elle cherchait à épouser ses pensées en ce moment ultime : mais où le portaient-elles ? Vers elle ? Vers sa mère ? Vers cette Françoise dont il avait une fois lâché le nom, un beau soir à Ecouen ? Ou bien vers cette duchesse d’Étampes dont son oncle lui avait brossé le portrait ? À moins qu’il ne pensât à Dieu...
Simon détourna le regard quand son frère fut hissé vers le sommet de la potence. Le corps se débattit un moment, là-haut ; puis il se raidit.
Les
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