Madame Catherine
de l’une, et ses sentiments, et les souvenirs et sentiments de l’autre ! « Le renard change de poil, fait dire Suétone au vieil esclave, mais non de caractère... »
Une telle référence, dans la bouche d’une ancienne favorite, ne surprit nullement Françoise ; elle avait si souvent ouï Simon vanter sa culture et ses lettres ! Ne la disait-on pas, du temps de sa splendeur, « la plus belle des savantes, la plus savante des belles » ?
La fille de Gautier avait cent questions à poser à celle qu’avait aimée son père, et qu’elle semblait avoir aimé aussi, parmi tant d’autres sans doute... Mais on ne lui en laissa pas le loisir.
Sans se soucier du tout de ses attentes, sans même s’enquérir de l’objet de sa visite, la duchesse se mit à lui confier sans façons des réflexions et presque des morales, comme elle l’eût fait à une vieille amie. Sans doute la visiteuse lui inspirait-elle confiance.
— Voyez-vous, mon enfant, je crois qu’il faut avoir beaucoup vécu, beaucoup péché, pour prétendre accéder à quelque sagesse, comme aux premiers degrés de la vertu. Celles qui s’enferment trop jeunes dans une conduite trop droite ne peuvent pas se connaître assez pour désirer vivre en Vérité.
Elle répéta : « vivre en Vérité ».
Françoise donnait le sentiment de boire ses paroles, et de les approuver. Peut-être en perçait-elle toute la justesse.
— Pour combattre en soi les innombrables faussetés imaginées par le diable, encore faut-il leur avoir donné licence de s’épanouir, de se montrer dans toute l’ampleur de leur mauvaiseté. Comment voudriez-vous combattre un ennemi qui ne se serait bien montré, bien révélé ? Pour revenir de certaines errances, il faut les avoir éprouvées pleinement. J’ai beaucoup péché, mon enfant, et d’autre manière, je commets encore certaines fautes... Seulement, voyez-vous, si j’ai compris une chose, c’est que la faute est moins dans les accidents de parcours que dans le choix même du chemin que l’on prend.
Françoise sourit ; elle croyait entendre son oncle.
— Rien n’est plus aisé que de rentrer en bonne voie, rien n’est plus malaisé que de s’y maintenir. C’est une sente ténue, bien fine. Autant marcher sur un fil... Savez-vous, madame, comment on reconnaît le bon chemin ?
— Non, madame...
Anne de Pisseleu esquissa un sourire : le sérieux et l’attention de Françoise la flattaient sans doute. Peut-être s’y reconnaissait-elle ; à moins qu’elle n’y reconnût quelque chose de Gautier... Elle prit la main de la jeune femme et la dirigea vers son estomac.
— Le bon chemin, mon enfant, procure une joie brûlante ici même, une joie rayonnante et qui dure... Aimez-vous les animaux ?
— L’on me dit bonne cavalière.
La duchesse ne retint pas cette réponse.
— Aimez-vous les chiens ou les oiseaux ?
— Je les aime beaucoup.
— Alors observez-les, longuement, pendant des heures si vous le pouvez. Vous finirez par sentir qu’eux rayonnent toujours. Leur esprit est moins perfide que le nôtre ; il ne cherche pas à les dévoyer en permanence... Mais après tout, c’est aussi la grandeur de notre condition : lutter contre la part futile en nous, au profit d’une part plus sage et toutefois plus heureuse – c’est cela : employer la force de cet esprit indocile pour jouir en conscience de la beauté de toute chose...
Le soir était venu, et le vieux maître d’hôtel apporta trois ou quatre chandelles afin de donner du jour à la pièce. Françoise se sentait tellement apaisée, dans la compagnie de cet étrange ermite, qu’elle aurait voulu que l’entretien durât toujours.
— Parliez-vous ainsi avec mon père ?
La duchesse d’Étampes ignora la question. De même, elle évitait sciemment toute allusion à sa trop brillante jeunesse, pendant les vingt années qu’avait duré une faveur sans nuages. Elle posa quelques questions transitoires à la jeune femme sur sa foi, sur la « petite Genève », sur les assemblées réformées de l’auberge du Vicomte... Puis la conversation roula de nouveau, et comme par gravité naturelle, sur la vie, la mort et l’amour.
— L’amour peut être trompeur..., hasarda Françoise, soudain rembrunie.
Ce qu’elle avait subi avec Vincent la rendait réticente à ce simple mot. Anne de Pisseleu sourit.
— Il l’est, comme tout ce qui vient de là, dit-elle.
Or, plutôt que le coeur, elle
Weitere Kostenlose Bücher