Madame Catherine
sa capitale. À Paris même, parmi les missions qui revenaient à la reine Catherine, la plus urgente était de trouver des fonds.
Elle y mit toute son énergie.
Déjà, un an plus tôt, elle avait envoyé à Lyon un émissaire de confiance pour obtenir des marchands florentins de cette ville une avance destinée à l’expédition de Guise. Cette fois, elle décida de se rendre elle-même à l’hôtel de ville, pour y solliciter l’assistance du corps municipal.
Le 13 août, la reine et sa belle-soeur, Marguerite de Valois {49} , se rendirent en coche {50} jusqu’à la place de Grève. Les Parisiens n’étaient pas habitués à ces espèces de nacelles roulantes, qui grinçaient et craquaient au gré de la chaussée. Aussi s’agglutinèrent-ils par curiosité autour du véhicule, barrant le passage au cardinal de Lorraine, au garde des Sceaux et aux dignitaires qui suivaient en litière... Déjà les princesses, évitant les flaques d’une récente averse, avaient disparu dans l’édifice couvert d’échafaudages {51} .
Catherine portait le grand deuil, comme l’exigeaient les circonstances ; mais aux parures blanches des reines, elle avait préféré le noir, plus conforme peut-être à la gravité de l’heure – à moins qu’elle ne l’eût trouvé plus spectaculaire... Émergeant de cette masse sombre, sa petite tête au front bombé, aux bonnes joues déjà tombantes, semblait celle d’une poupée greffée sur un corps de son.
Perrot, prévôt des marchands, accueillit la souveraine avec force révérences et compliments. Mais sa déférence outrée n’en tranchait que plus sur l’attitude réservée, pour le moins, des échevins, présidents de chambres et autres magistrats, réunis en assemblée générale. Leurs visages tendus, leurs regards plissés, trahissaient en effet la plus vive méfiance envers une couronne vaincue et endettée ; la plupart semblaient décidés à refuser le moindre soutien à une politique belliqueuse qu’en un mot, ils désapprouvaient.
La reine Catherine n’avait guère le choix des armes : elle tenta de les prendre par les sentiments.
D’une petite voix presque enfantine, où perçaient des pointes florentines, elle plaignit d’abord le sort des soldats tombés à Saint-Quentin, dont M. d’Enghien, et se demanda s’il n’était pas, à tout prendre, préférable encore à celui des malheureux captifs, emmenés par l’ennemi vers des geôles où, peut-être, ils finiraient leurs jours... Ainsi Mgr le connétable lui-même se retrouvait-il, plus de trente ans après Pavie, prisonnier comme il l’avait été alors, aux côtés du feu roi François, de si haute mémoire.
Les échevins se signèrent. L’allusion à Pavie était habile, et voulait insinuer que les plus grands règnes n’étaient pas à l’abri de revers militaires.
— Aujourd’hui, poursuivit Catherine d’une voix vibrante, ce qui est le plus à craindre est que le nouveau roi d’Espagne ne prenne la résolution de marcher sur Paris. Car dans ce cas funeste, nul ne serait en mesure de lui barrer le chemin.
La voix de Catherine se brisa sur ces mots, et l’on sentit l’assistance frémir d’émotion, et céder à la frayeur.
— Nos forces vives, dit la reine, sont actuellement au royaume de Naples. Nous offrons à l’ennemi un front tout dégarni, et pour le roi Philippe, entrer dans Paris, tout tuer, tout piller, serait l’affaire de quelques jours !
Cette fois, c’est un brouhaha d’émotion qui accueillit ces propos. Catherine, le port digne, le front bien haut, parcourut l’assistance de son regard perçant, couleur de noisette. Elle attendit que le calme revînt.
— L’Espagnol est donc à nos portes. Devons-nous le laisser entrer ? Pouvez-vous, messieurs, accepter que la capitale de la France se laisse ravager sans réagir ? C’est pour parer au plus pressé que le roi, mon époux, a déjà gagné Compiègne. Il peut lever là-bas des gens tout neufs, à opposer à l’avancée sauvage de l’ennemi. Mais ces troupes tellement salutaires, qui les soldera ? Comment les payer ? Où trouver l’argent qui pourrait nous sauver tous ?
Dans le silence qui s’était emparé de l’assemblée, les mots, clairs et forts, de la souveraine, raisonnaient avec tout l’accent de la majesté royale. Catherine le sentit bien ; et pour la première fois depuis son mariage, un quart de siècle plus tôt, il lui parut que ces satanés Français la considéraient
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