Madame Catherine
désignait la tête.
— Ce que vous ressentez, à chaque instant d’une affaire amoureuse, est forcément très vrai, très beau, précisa-t-elle ; c’est ce que vous en pensez qui vient tout gâter. Nos affaires de coeur sont comme un raccourci frustrant pour accéder à la route – je dis frustrant, car elles ne mènent jamais qu’au balcon en surplomb. Vous comprenez ce que je dis là ?
Françoise secoua la tête en signe d’excuse : elle avait atteint ses limites.
— Qu’importe, soupira légèrement la duchesse ; un jour, vous comprendrez. Mais surtout vivez, mon enfant, vivez ! Ne vous économisez pas !
Elle se leva pour raccompagner elle-même une visiteuse encore sous le charme, quoique déçue de n’avoir pu vraiment parler de son père. Anne le comprit-elle ? Ou bien laissa-t-elle, selon ses axiomes, l’inspiration du moment lui dicter la phrase juste ?
Voici ce qu’elle déclara, en guise d’adieux, sur le pas de sa porte.
— J’ai eu, jadis, un très beau domaine. À Limours. Jamais il n’avait été si parfait, et jamais plus il ne le sera, que le très beau jour où votre père m’y a rendu visite {47} .
Françoise ne s’attendait pas à cela ; elle fondit en larmes. Alors la duchesse lui offrit, « en souvenir d’elle », un petit mouchoir de soie brodée d’argent – de l’étoffe la plus riche, la plus raffinée que la jeune femme eût jamais vue.
Ce soir-là, pour la première fois, la fille de Gautier donna son corps et son coeur au seigneur de La Renaudie. Il ne déçut pas ses attentes, et la mena loin dans la volupté, lui révélant des trésors de sensualité sans rien écorner de l’honneur, du respect, de l’infinie gratitude ou s’inscrivait leur union.
Et lorsque, repu, il s’assoupit aux côtés de la jeune femme comblée, il se garda bien de lui révéler qu’à deux ou trois moments, il n’avait pu s’empêcher de se rappeler l’oncle en découvrant la nièce.
Chapitre VI
Le régicide
(Été et automne 1557)
Il est assez réjouissant, pour un auteur, de s’attarder pendant des pages à une affaire sentimentale, puis d’expédier en quelques lignes un événement de l’importance de la défaite de Saint-Quentin. Il faut y voir un effet de synecdoque à la limite du baroque, comme dans la fameuse composition du Lorrain, Le Débarquement de Cléopâtre à Tarse, où la scène éponyme s’aperçoit tout juste à l’arrière-plan...
Paris, hôtel de ville.
Tout à ses déceptions familiales, le connétable de Montmorency avait négligé les grands événements qui, en Italie, allaient bousculer l’équilibre de la péninsule. C’était la limite de sa trêve de Vaucelles ; ce fut le socle où s’appuyèrent les va-t-en-guerre de la Cour – menés par la duchesse de Valentinois.
Dès le printemps 1555, François de Guise et son frère, le cardinal de Lorraine, avaient poussé sur le trône de Saint Pierre un pontife, Paul IV, hostile entièrement aux Habsbourg. Ce nouveau pape étant allé jusqu’à excommunier Charles Quint et son fils, Philippe II, les Espagnols prirent possession de Rome en septembre 1556. Le roi de France, incapable de voler assez vite au secours du chef de l’Église, n’en prépara pas moins une riposte, confiée au duc de Guise, et dont le but secret n’était rien moins que la conquête du royaume de Naples ! Or, quoique très coûteuse – plus de cent mille écus par mois – cette expédition se révéla stérile. La politique des Guises, une fois de plus, coûtait beaucoup et ne rapportait rien.
Mais tandis que les Espagnols tenaient les Français en échec dans toute l’Italie, le duc de Savoie, Emmanuel-Philibert, attaqua le royaume sur sa frontière nord-est, écrasant l’armée de Montmorency devant Saint-Quentin, le 10 août 1557 – jour de la Saint-Laurent {48} . Ce désastre apparut comme un nouvel Azincourt, ou comme la réédition de Pavie : trois mille morts, cinq mille blessés, six mille prisonniers dont le maréchal de Saint-André et le connétable en personne ! Le roi lui-même ne dut qu’à son absence de n’avoir pas été pris. Quant à la place de Saint-Quentin, héroïquement défendue par Coligny, elle devait se rendre le 27 août.
La grande question était de savoir si le roi Philippe allait profiter d’une si belle occasion de marcher sur Paris.
Henri II prit le chemin de Compiègne afin d’y lever de nouvelles troupes et de préparer la défense de
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