Madame Catherine
Bourg croisa son regard un instant. Alors, levant les yeux au ciel, il lança une prière.
— Seigneur, c’est Ta querelle. Je m’en remets à Toi seul !
Ce fut peut-être le mot de trop, du moins pour le roi Henri. Il descendit vivement de son piédestal et se mit à crier en direction du petit homme.
— Avant dix jours, m’entendez-vous, avant dix jours je vous verrai, de mes propres yeux, brûler tout vif !
Mais Du Bourg ne se retourna pas ; il affectait de réconforter son jeune confrère.
Dans la soirée, les conseillers Fumée, de Foix et de La Porte les rejoindraient à la Bastille.
Paris, rue Saint-Antoine.
Vendredi 30 juin. En ce troisième jour de tournoi, une chaleur moite avait envahi la lice des Tournelles. Le public élégant suffoquait de poussière, à la recherche du moindre souffle, dans des tribunes chargées de tentures et d’écoinçons aux armes de France, d’Espagne et de Savoie. Quant aux gens du peuple, ils avaient depuis longtemps déserté la place.
Depuis deux heures de relevée, on avait vu, tour à tour, les ducs de Nemours, de Ferrare et de Guise, affronter une série d’assaillants plus ou moins novices, plus ou moins hardis.
— Tenant : Sa Majesté le roi ! annonça la voix fatiguée d’un héraut d’armes.
La reine Catherine sentit son coeur se serrer. Depuis le début des joutes, elle vivait dans la hantise de voir son mari se blesser. L’horoscope de Gauric n’avait-il pas mis le roi en garde contre les duels, surtout ceux de sa quarantième année ? Depuis des semaines, voyants et astrologue n’avaient cessé de confirmer le présage ; tous déconseillaient au roi d’entrer en lice.
« Il va lui arriver malheur, se lamentait Catherine. Je le sens, je le sais ! »
Cependant les deux premiers jours de tournoi s’étaient déroulés sans encombre ; et le troisième, qui tirait à sa fin, promettait de la délivrer de ses angoisses.
— Je ne vis plus, confia-t-elle à sa fille Élisabeth, devenue reine d’Espagne par procuration, quelques jours plus tôt.
Celle-ci prit gentiment la main de sa mère dans les siennes, et tenta de la rassurer.
— Que craindre, madame, sinon l’insolation ?
Mais Catherine n’était pas d’humeur à plaisanter.
— J’ai fait un songe, dit-elle, la nuit dernière. Un songe horrible...
Elle n’en dit pas davantage, car les trompes et les hourras saluaient l’entrée du roi, déjà en armes. Henri passa sous l’arc de triomphe, dressé du côté de la Bastille. Il arborait à son casque un cimier de plumes blanches et noires, toujours en l’honneur de Diane – comme il l’avait fait pour la première fois, ici même, vingt-huit années plus tôt {60} ...
Catherine se pencha un instant pour voir la duchesse, et découvrit avec lassitude son beau visage hiératique et noble. Impavide.
— Celle-ci doit avoir du marbre à la place du coeur, soupira-t-elle.
La reine d’Écosse, qui avait entendu, lui adressa un drôle de sourire.
On annonçait l’entrée en lice, face au roi, du duc de Savoie en personne, empanaché de pourpre. Il montait un cheval magnifique, aussi beau que celui qu’il venait d’offrir au roi lui-même et qui – mauvais augure, décidément – s’appelait Le Malheureux.
Tandis qu’on faisait crocheter les heaumes et qu’on armait les jouteurs de lances neuves, la reine, de plus en plus oppressée, fit signe d’approcher au duc de Nemours, de retour dans la tribune.
Sur le sable, les chevaliers se faisaient face.
— Serrez bien les genoux, lança le roi à son futur gendre ; car sans égard à nos liens, je vais vous ébranler d’importance !
Le duc émit un rire forcé ; puis les deux chevaux s’élancèrent, les lances s’inclinèrent, les cavaliers se heurtèrent violemment. Un bruit mat, des éclats de bois dans l’air surchauffé... Savoie vacilla sur sa selle, mais il leva le bras droit pour rassurer les juges. Le roi de France rouvrait déjà son casque : la victoire était sienne.
Passé l’instant d’effroi, comme à chaque fois, l’assistance acclama le vainqueur... Le duc de Nemours saluait la reine Catherine.
— Madame, vous souhaitiez me parler ?
— Monsieur le duc, rendez-moi, s’il vous plaît, un grand service. Allez trouver le roi et, pour l’amour de moi, suppliez-le de ne pas tenter le sort davantage. Il doit absolument renoncer à jouter ce soir.
Le duc voulut bien et, tout en délaçant des coudières qui lui
Weitere Kostenlose Bücher