Madame Catherine
tenaient chaud, il descendit de la tribune et, longeant la lice, se dirigea vers le roi. Henri, d’aussi loin qu’il le vit, lui lança, par jeu, un gantelet de fer. Les trompes annonçaient déjà l’entrée en lice d’un nouvel assaillant : le duc d’Aumale, frère des Guises et gendre de Diane. Nemours n’eut pas le temps de s’opposer à cet assaut déjà lancé. Tandis que les chevaliers se mettaient en place, il fit, en direction de la reine, un geste d’impuissance.
Cette seconde passe fut plus violente encore que la première. Henri, qui tenait peut-être son écu de travers, laissa partir son bras gauche en arrière ; il n’en remporta pas moins l’assaut. S’approchant alors de la tribune, il souleva sa visière et complimenta le duc de Savoie.
— C’est ce bon cheval, cria-t-il, qui me fait donner ces beaux coups de lance !
— Tant mieux, répondit le duc encore secoué par la confrontation. Je suis heureux que ma monture vous fasse si bon service !
Cinq coups venaient de sonner au clocher voisin, et le public, las et assommé de chaleur, se mit à quitter les tribunes. Même de grandes dames – habituellement empressées à faire leur cour – s’excusaient sur l’heure déjà tardive pour s’éclipser par grappes.
Le roi remarqua cette désaffection, et la regretta, mais il ne laissa rien paraître de son irritation. Il était revenu vers ses gens et déjà mettait pied à terre quand le duc de Nemours l’aborda. Enfin.
— Sire, se lança-t-il en parlant à mi-voix, Sa Majesté la reine me prie de vous implorer : cessez de jouter, monsieur, pour l’amour d’elle.
Henri lui décocha un regard assez noir.
— Au vrai, ajouta Nemours, je partage l’avis de la reine : il fait trop chaud, le jour avance... Vous devriez cesser de vous travailler ainsi.
Le roi, sans une telle supplique, aurait-il demandé un troisième assaut ? Nul ne le saura jamais. Simplement, reculer après cette prière eût donné le sentiment qu’il obéissait à la peur...
— Dites à la reine que c’est pour l’amour d’elle, justement, que je courrai encore une lance. Mais foi de gentilhomme, ce sera la dernière.
Henri se disait-il que, l’âge aidant, il paraissait ce soir-là en lice pour la dernière fois ? Nemours, lorsqu’il y repenserait plus tard, devait s’en persuader.
Devant un public de moins en moins attentif, on fit donc entrer un troisième assaillant, empanaché de gueule {61} et d’azur. C’était Gabriel de Montgomery – ce même capitaine des gardes qui, deux semaines plus tôt, avait arrêté les magistrats en pleine séance du Parlement ! Le jeune homme, visiblement embarrassé, aurait aimé décliner l’honneur ; en effet son père, jadis, à Romorantin, avait failli tuer le feu roi François, en lui lançant, depuis une fenêtre, un tison ardent sur la tête... Cet épisode, mille fois raconté depuis, avait hanté la jeunesse de Gabriel et lui faisait craindre les effets d’une sorte de malédiction. Comment refuser, cependant, une lance au roi de France – surtout quand on porte, sur ses propres armes, des lys témoins d’une antique parenté avec la dynastie ?
Sonneries de trompes ; charge des chevaux... Le nouveau heurt fut aussi violent qu’indécis. Les deux lances s’étaient brisées, mais sans donner de victoire évidente à l’un des cavaliers. Tous deux relevèrent leur visière.
— Il faut recommencer, dit le roi.
— Non, la victoire est vôtre, sire, protesta le jeune homme.
— Qu’en savez-vous ?
— Il ne saurait y avoir moyen de faire mieux !
Le maréchal de Vieilleville, accouru vers le roi, assura qu’un nouvel assaut eût marché contre la tradition.
— Je veux ma revanche, insista le roi. Il m’a fait branler sur ma selle et quasi quitter mes étriers !
Dans la tribune en pleine dissipation, le duc de Nemours avait rejoint la reine.
— Le roi m’a promis que cette lance était la dernière qu’il courait, lança-t-il, triomphant.
— Dieu soit loué, se réjouit Catherine.
Elle se signa plusieurs fois et, les yeux soudain rouges de soulagement, serra contre elle le dauphin François. Catherine souriait à Nemours.
— Merci, monsieur. J’ai bien cru...
Mais la reine n’eut pas le temps d’achever sa phrase. Le roi, sans même attendre la sonnerie des trompes, et sans que Vieilleville eût seulement le temps de rattacher la visière de son heaume, se précipitait à l’assaut. Le jeune
Weitere Kostenlose Bücher