Madame de Montespan
projeté, elles eurent l’une et l’autre recours aux cris les plus perçants qui firent accourir le domestique, en présence de quoi, ne pouvant mieux, les mêmes injures furent répétées et lui emmené de force, non sans avoir fort joué du moulinet et achevé de jeter les deux dames dans la plus mortelle frayeur. »
L’outragé se résigna-t-il après cette tentative infructueuse ? Envisagea-t-il de gagner ses terres et d’y remuer ses rancoeurs ? Sans doute, mais pas avant d’avoir fait, selon Voltaire, une ultime irruption à Saint-Germain, deux jours seulement après la scène épique que nous venons de vivre, où il se rendit, tout de noir vêtu, pour prendre congé du Roi, en un carrosse drapé de crêpe sombre, que tiraient des chevaux du plus bel ébène.
Humour noir, surréalisme avant l’heure, vision stupéfiante...
— Mais de qui donc portez-vous le deuil ? demanda Louis XIV au funèbre personnage.
— De ma femme, Sire, de ma femme. Je ne la verrai plus !
Après quoi, toujours selon Voltaire, le marquis fit révérence – ou pirouette –, prit dignement la porte et revint à Paris disant partout que sa femme était morte !
Trop, c’était trop. Il n’eut pas loisir de rejoindre sa Gascogne. Le 20 septembre de cette année 1668, sur ordre du Roi, il prit le chemin du Fort-l’Evêque, rue Saint-Germain-l’Auxerrois, où il entra sous bonne garde... mais la tête haute.
Il convoqua séance tenante deux notaires du Châtelet et les pria d’enregistrer deux actes : le premier, pour qu’on lui fît une avance de 6 000 livres destinées à s’acquitter des frais d’incarcération et à payer son tailleur ; le second, pour annuler la procuration générale qu’il avait accordée à Athénaïs. Logique !...
Cette incarcération n’avait pour but que d’apaiser ses humeurs violentes et l’intimider. Elle fut brève, en effet. Que pouvait-on lui reprocher sinon d’être cocu et insolent ? Le 7 octobre suivant il était autorisé à quitter Fort-l’Evêque. Impunément ? non pas, car il fallait qu’il se conformât à cet ordre reçu et lu par le chevalier du guet :
« De par le Roy,
« Sa Majesté, étant mal satisfaite de la conduite du sieur marquis de Montespan, ordonne au chevalier du guet de la ville de Paris qu’incontinent, après qu’en vertu de l’ordre de Sa Majesté qui en a été expédié, ledit sieur marquis aura été mis en liberté des prisons de Fort-l’Evêque où il a été détenu, il lui fasse commandement, de la part de Sa Majesté, de sortir de Paris dans les vingt-quatre heures pour se rendre incessamment dans une des terres appartenant au sieur marquis d’Antin, son père, située en Guyenne, et y demeurer jusqu’à nouvel ordre, Sa Majesté lui défendant d’en sortir sans sa permission expresse, à peine de désobéissance. Et ordonne, Sa Majesté, à tous ses officiers et sujets de prêter main-forte... »
M. de Montespan n’avait plus qu’à s’exécuter. Ce qu’il fit sans demander son reste. Direction le lointain château de Bonnefont, tout auprès de Trie-sur-Baïse, où sa digne mère, Chrestienne de Zamet, l’accueillera à bras ouverts. Il emmenait avec lui son jeune fils de trois ans.
À la fin de cette année-là, Messire Gabriel-Nicolas de La Reynie est nommé lieutenant général de police. Un jour, bientôt, son destin croisera celui d’Athénaïs.
À la fin de cette année-là, la cour chansonne :
On dit que La Vallière
S’en va sur son déclin
Ce n’est que par manière
Que le Roi va son train.
Montespan prend sa place
Il faut que tout y passe
Ainsi de main en main...
À la fin de cette année-là, malgré les artifices de toilette, Athénaïs ne peut plus dissimuler l’arrondi royal de sa taille. Et Bussy de préciser que, bien gênée au regard de la cour, Mme de Montespan lança une nouvelle mode : elle tira sur sa chemise comme faisaient les hommes, en la faisant bouffer le plus possible à la ceinture, ce qui cachait le ventre. Elle avait ainsi créé la robe qu’elle qualifiait elle-même d’« innocente ». Plus tard, elle inventera « la battante ».
IV
UN ÉPAGNEUL NOMMÉ MALICE
Tout se détruit, tout passe, et le coeur le plus tendre ne peut d’un même objet se contenter toujours.
L OUISE DE L A V ALLIÈRE .
1669 : Colbert est nommé secrétaire d’État à la Maison du roi. Les impôts augmentent. Mort de Denys de La Coudraye, sieur d’Hedouville, ami de
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