Madame de Montespan
faisant briller à ses yeux les premières dignités de l’Église et de l’État. »
On peut croire ce témoin, car Athénaïs était tout à fait capable de telles manigances. Elle était amoureuse, elle était adulée, elle régnait : autant de bonnes raisons pour défendre chèrement ses avantages acquis !
— Au jeudi de la Semaine Sainte, l’abbé Lécuyer, un humble prêtre de Versailles, ne vous a-t-il pas déjà refusé l’absolution ? Et ne fut-il pas en cela approuvé par le père Thibaut, son curé ? insista Bossuet.
Trop c’est trop. Athénaïs bondit chez son amant. Elle vocifère, elle se plaint, rien n’y fait. Car on a réussi à l’inquiéter, à le désespérer, à l’abattre. « Une séparation entière, absolue, est une disposition indispensable pour être admis à la participation des sacrements », lui avait dit l’Aigle de Meaux. Il avait su peindre, aussi, les flammes entrevues par la porte de l’enfer, cette porte qui s’ouvrait pour tous, même pour les Majestés !
Athénaïs est effondrée.
— Mais, Madame, confia-t-elle alors à la duchesse d’Uzès, quand on fait un péché, est-ce une raison pour commettre tous les autres ?
Et elle quitte Saint-Germain pour aller s’abriter, rue de Vaugirard (elle aussi), dans une petite maison qui lui appartenait.
On imagine ses cris, ses colères, ses larmes, sa prostration, toutes ces réactions qui n’échapperont pas à Mme de Maintenon, qui a dans la place une jeune femme de chambre à sa solde. Ses confidences écrites à ce sujet confirment cet espionnage : « La petite me mande que sa maîtresse est dans des rages inexprimables. Elle n’a vu personne depuis deux jours. Elle écrit du matin au soir, et, se couchant, déchire tout. Son état me fait pitié. Personne ne la plaint quoiqu’elle ait fait du bien à beaucoup de gens. Nous verrons si le Roi partira pour les Flandres sans lui dire adieu. »
Dans le même temps elle confiait encore au papier : «Je vis le Roi hier... il me semble que je lui parlai en chrétienne et en véritable amie de Mme de Montespan. » Nous savons, grâce à Mme de Sévigné, le sens qu’il faut donner à cette véritable amitié !
La maison de la rue de Vaugirard étant trop inconfortable, Athénaïs décida de se retirer à Clagny, où Louis XIV, avant de partir pour les Flandres, lui rendit deux visites. Deux visites officielles et publiques. Deux entrevues toutes froides et... un adieu. La rupture paraissait donc consommée. La calotte semblait l’emporter. Il n’y eut encore que notre précieuse Sévigné pour pressentir que l’adieu du Roi-Soleil à Athénaïs n’était qu’un au revoir. « Je ne doute point que l’amour ne soit égal à ce qu’il était et que toute la différence n’aille qu’à plus de mystère, ce qui le fera durer plus longtemps... »
Au vrai, Madeleine de Scudéry, aussi, avait flairé l’affaire. « Le Roi et Mme de Montespan se sont quittés... purement par principe de religion. On dit qu’elle retournera à la cour sans être logée au château et sans voir jamais le Roi que chez la Reine. J’en doute, ou du moins que cela puisse durer ainsi, car il y aurait danger que l’amour ne reprît le dessus. »
De son côté Bossuet exulte. Mais il ne le montre pas. La partie n’est peut-être pas définitivement gagnée, songe-t-il. Aussi le voit-on inonder le Roi (en Flandre) d’épîtres dans lesquelles il exhorte, il admoneste, il encourage, dans lesquelles il parle abondamment, trop abondamment, des larmes qu’un tel adultère lui fait verser : « Mes inquiétudes pour votre salut redoublent de jour en jour parce que je vois tous les jours de plus en plus quels sont vos périls... tant que les ministres de vos passions seront plus puissants que vos ministres d’État, vos passions troubleront l’État. »
Grand théologien mais petit psychologue, il ne comprend rien aux secrets mouvements du coeur ; pour les pénétrer il faut avoir soi-même vécu et n’avoir pas aimé que Dieu !
Et ce qui devait arriver arriva. Nos amants retombèrent dans le péché de David ! À son retour des Flandres, exalté sans doute par ses victoires, Louis XIV revit en effet avec un plaisir à peine dissimulé l’altière Athénaïs à laquelle il était censé ne plus témoigner qu’une immense amitié. A priori, l’entrevue devait être solennelle. On l’avait d’ailleurs soigneusement réglée : « Pour ne pas donner à la
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