Madame de Montespan
elle était la fille unique de Jeanne Frottier-Preuilli et de Léon, baron de Mortemart, seigneur de Lussac, de Verrières et d’autres lieux et il lui était arrivé, selon la légende poitevine, une aventure à faire pâlir nos parapsychologues : toute jeunette, Renée s’était trouvée mal, elle ne respirait plus, son pouls ne battait plus, on l’avait donc crue morte, on avait beaucoup pleuré... et on l’avait ensevelie. D’émouvantes obsèques pour une fillette que l’on enterrait couverte de ses bijoux. Sur ses petites mains jointes, un merveilleux diamant, d’une eau finement ciselée.
— Cette pierre est trop scintillante pour rester dans l’obscurité du caveau ! songea alors un valet véreux qui n’attendit que la nuit pour violer la sépulture et s’emparer du bijoux convoité. Impossible, hélas !, de faire glisser la bague sur le doigt raidi. La phalange faisait obstacle. Et l’horrible individu n’eut d’autre idée que de trancher, à forts coups de dents, le doigt froid de la petite Renée Taveau.
Ce qui eut pour effet immédiat de la réveiller de cette mort qui n’était probablement qu’une pâmoison profonde.
Mais il n’en fallut pas plus pour faire jaser, et on inventa aussitôt des histoires dans lesquelles on mêla un doigt de vampirisme et une bonne dose de succubat. Au sortir de sa léthargie, Renée Taveau se trouvait donc métamorphosée en succube, son joli petit corps ne lui appartenait plus, il hébergeait désormais un démon avide d’avoir commerce avec un homme !
Et l’homme en question, ce fut François de Rochechouart qui, du commerce avec sa succube d’épouse, eut trois fruits, dont René, le grand-père d’Athénaïs. Le Malin était donc déjà dans la famille dès 1530 ! Quoi d’étonnant alors à ce que Mme de Montespan aimât à s’allonger nue sur les autels maudits de l’abbé Guibourg, le pape des messes noires ! Du moins, c’est ce qu’ont toujours affirmé la plupart des historiens, et non des moindres, tel Frantz Funck-Brentano ou Georges Mongrédien, sans oublier Armand Praviel qui écrivit – en 1934 – une Mme de Montespan empoisonneuse et le duo Paul Emard-Suzanne Fournier qui récidiva quatre ans plus tard avec un ouvrage accablant intitulé Les Années criminelles de Mme de Montespan. Il n’y a guère que Jean Lemoine {27} pour avoir osé affirmer – seul contre tous – qu’Athénaïs n’était, au sens propre, ni une ensorceleuse, ni une empoisonneuse.
Mais alors, que faut-il en penser ? Athénaïs ne dut-elle ses années de gloire qu’à son seul talent, ou ne triompha-t-elle qu’en usant et abusant des mixtures les plus délétères et... du bouillon d’onze heures ?
L’affaire, qui n’éclatera qu’à la fin de la huitième décennie du XVII e siècle, aurait commencé dix ans plus tôt, dès 1667, c’est-à-dire l’année de la dernière grossesse de Louise de La Vallière qu’Athénaïs était décidée à supplanter par n’importe quel moyen. Ses accusateurs l’affirment. Ils affirment aussi que, dès cette année-là, elle était déjà entre les mains de... la Voisin.
La Voisin : c’était un gentil surnom de sorcière. En réalité cette femme s’appelait Catherine Deshayes, elle était veuve d’Antoine Monvoisin. Son quartier général : une maisonnette sise dans l’actuelle rue Beauregard à Ville-Neuve-sur-Gravois, une ville neuve bâtie au début du XVII e siècle entre le quartier Saint-Denis et les remparts. C’est dire qu’elle était parisienne, cette ancienne sage-femme devenue faiseuse d’anges puis devineresse, puis concocteuse de philtres d’amour et enfin spécialiste en « poudres de succession ».
Autour d’un portrait qu’il a fait d’elle, le graveur Coypel a brossé des allégories angoissantes : des serpents, une camarde, des diables griffus... et pourtant, sous sa capuche blanche, avec un regard vif et doux, un sourire naïf et des joues bien rebondies... on lui donnerait le bon Dieu sans confession ! Elle avouera pourtant avoir brûlé ou enterré dans son jardin les corps de plus de deux mille cinq cents enfants nés avant terme ! Mais comme elle était une femme à principes, qu’elle ne manquait jamais la messe, elle avait toujours tenu à ce que les bambins venus au monde – l’espace d’un court instant ! fussent ondoyés avant de le quitter ! Elle avouera aussi que tous les empoisonnements de la cour – ou presque – avaient été mis au
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