Madame de Montespan
notes joyeuses. Et au jour dit, la musique fut prête et la table délicieuse.
Or, un Anglais qui passait ce jour-là par Saint-Cyr (un invité, peut-être, de Mme de Maintenon ?), trouvant le petit air de Lulli à son goût, s’empressa de recopier la partition... banqueta copieusement, franchit le Channel, rentra chez lui, se mit au clavecin et adopta (sans beaucoup l’adapter !) la composition de Lulli. Un jour, il l’aurait jouée devant Sa Gracieuse Majesté. Et Sa Majesté aurait été enchantée ! À tel point qu’elle aurait même souhaité en faire une musique officielle. Et c’est ainsi que serait né le God Save the King.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’hymne national anglais n’existerait que... grâce au fondement de Louis XIV !
L’année de la fistule, ce fut aussi l’année du mariage du jeune marquis d’Antin, fils légitime d’Athénaïs. Le 6 août, après avoir obtenu – grâce à maman ! une place de gentilhomme attaché au Dauphin, il épouse Mlle d’Uzès, la petite-fille du duc de Montausier, ami de M. de Montespan.
« Ma mère se contenta de me donner 2 000 écus de pension », grogne d’Antin dans ses Mémoires. Mais on sait qu’il ment. Qu’il ment souvent. En lisant l’abbé de Choisy ou le curieux Dangeau, on apprendra en effet qu’Athénaïs lui avait fait meubler un magnifique appartement à Versailles et qu’en pénétrant dans cette suite, sa belle-fille trouva « un grand bassin plein de tout ce qui peut servir à une dame, de rubans, d’éventails, d’essences, de gants, et une fort belle parure de diamants et d’émeraudes ». Selon Dangeau, ce beau geste de Mme de Montespan valait bien 40 000 livres !
Le mariage du jeune d’Antin succédait à celui de Louise-Françoise de Bourbon, dite Mlle de Nantes. Cette petite légitimée (quatrième enfant du Roi et de la Montespan) avait épousé le duc de Bourbon, petit-fils du prince de Condé, connu sous le nom de Louis III de Condé. « Le grand Condé et son fils – note Mme de Caylus – n’oublièrent rien pour témoigner leur joie, comme ils n’avaient rien oublié pour faire réussir ce mariage. »
Faux ! s’insurge le marquis de Sourches. « C’était une chose ridicule de voir se marier ces deux marionnettes ! M. le duc de Bourbon était petit jusque dans l’excès ! On appréhendait même qu’il demeurât nain ! D’autre part, on avait été obligé d’attendre que Mlle de Nantes eût douze ans ! »
De ce mariage naîtra, à Chantilly, en 1700, Charles de Bourbon, comte de Charolais, un prince au caractère violent, un individu féroce et débauché qui fut l’opprobre de son illustre famille. Il fut en effet mêlé aux plus vilaines affaires qu’on puisse imaginer. Les dossiers des archives secrètes de la lieutenance de police sont remplis de son nom.
Puisque nous sommes penchés sur le destin des rejetons d’Athénaïs, sachons encore que le petit comte du Vexin, malingre ou chétif, était mort en 1683 ; que le duc du Maine, le fils spirituel de Mme de Maintenon son éducatrice, ne se mariera qu’en 1692, la même année que sa soeur Mlle de Blois. Reste enfin Louis-Alexandre, comte de Toulouse, le plus aimable et le plus aimant, aux yeux de sa mère. Le plus patient aussi, ou le plus intelligent, car il ne prendra femme qu’en 1723, quand il aura quarante-cinq ans.
M. de Montespan, le Gascon cocufié, avait failli convoler lui aussi ! Au temps de son exil à Toulouse. C’est Mme du Noyer {48} qui nous rapporte l’affaire. « Le marquis, écrit-elle, était un fidèle du salon de Mme de Lan ta, fille de Riquet, le créateur du canal des Deux-Mers, et soeur d’un président au parlement de Toulouse. On y jouait gros jeu et il y avait tous les jours une fort bonne compagnie. Mlle de Riquet, soeur de Mme de Lanta, vivait avec elle. M. de Montespan en tomba si amoureux qu’il voulut écrire au pape pour solliciter la cassation de son mariage en cour de Rome, afin d’avoir la possibilité d’épouser la belle... Il allégua là-dessus les meilleures raisons du monde, précise Mme du Noyer, et je ne doute point que le pape ne lui eût accordé sa demande s’il avait reçu cette lettre qui est assurément la plus belle que j’ai jamais vue. Mais M. de Louvois, à qui Montespan en fit voir la minute, l’assura que, s’il l’envoyait au pape et qu’il poussât à bout la patience du Roi, il était un homme perdu et qu’il perdait
Weitere Kostenlose Bücher