Madame de Montespan
par là la fortune du marquis d’Antin, son fils. Le pauvre M. de Montespan, intimidé par ces menaces, craignit pour la première fois et rengaina sa lettre. »
Quand il fut autorisé à revenir à Paris, M. de Montespan se plut à fréquenter le joyeux d’Aubigné, le propre frère de Mme de Maintenon ; mais ce commerce n’était pas du tout du goût de la morganatique : « Soyez sur vos gardes, lui mande-t-elle alors, ne voyez guère M. de Lauzun ni M. de Montespan. On dira que vous cherchez les mécontents ! »
On notera cependant que si le marquis de Montespan peut de nouveau vivre à Paris et fréquenter Versailles, c’est parce que le Roi n’attache plus aucune importance à sa jalousie, c’est surtout parce qu’il ne lui donne plus l’occasion d’être jaloux ! À partir de 1687 même, Louis XIV supprime, dans son emploi du temps, la visite quotidienne qu’il faisait à Athénaïs avant coucher. Athénaïs qui pleure, qui enrage, qui mâche sa colère, qui s’obstine à espérer contre toute espérance, qui n’admet pas le naufrage : « On ne reconnut alors à sa conduite, ni son esprit, ni sa grandeur d’âme », observa Mme de Caylus.
Hier les courtisans la flagornaient, aujourd’hui ils n’hésitent pas à la railler, à la bafouer parfois. Racine, par exemple, pour lequel elle n’avait pas ménagé ses efforts, n’écrira-t-il pas son Esther à la gloire de Mme de Maintenon ? « La comédie représente en quelque sorte la chute de Mme de Montespan et l’élévation de Mme de Maintenon », analyse Mme de La Fayette {49} . Autrefois Athénaïs avait pourtant aidé le tragédien, l’avait soutenu contre les cabales, lui avait négocié la place d’historiographe du Roi... un bel exemple d’ingratitude, donc.
Un bel exemple de rouerie ? Celui de Mme de Maintenon, qui sent bien que l’heure est venue. Qu’elle peut enfin rester seule en la place. Elle est machiavélique, elle n’exige pas crûment le départ de son ex-rivale, non, elle va adroitement lui couper les racines qui la retiennent à la cour.
Athénaïs veillait encore, à cette époque, sur l’éducation de deux de ses enfants légitimés : la jeune demoiselle de Blois et le petit Louis-Alexandre de Toulouse : c’est à travers eux que lui fut portée la dernière atteinte. En 1691, Mme de Maintenon suggéra au Roi d’emmener avec lui à l’armée le comte de Toulouse (treize ans). Il l’emmena.
Elle lui conseilla aussi de confier Françoise-Marie de Blois à son amie Mme de Montchevreuil. Il accepta.
Arsène Houssaye {50} nous affirme que le troisième coup de poignard fut porté par le duc du Maine : « Cher enfant, lui dit-elle en l’embrassant, quelle bonne nouvelle m’apportes-tu ? »
« ... Le duc du Maine n’eut pas le courage d’ouvrir son coeur ; il avait été à bonne école pour suivre les sentiers tortueux : Mme de Maintenon avait appris à son élève le grand art de parler pour déguiser sa pensée. Aussi, après avoir embrassé sa mère, le duc du Maine lui dit, avec l’accent de M. Tartuffe, qu’elle n’avait plus qu’une seule branche de salut pour se rattraper à l’amour du Roi : c’était de lui faire croire qu’elle ne voulait plus le voir jamais ; il sera offensé de cet adieu silencieux ; il sera irrité de cet exil prémédité, il sera désolé de cette absence imprévue, il rappellera pour son triomphe celle qu’il a le plus aimée.
« Ainsi parlait le fils à la mère ; la mère (qui n’ignorait rien !) aurait voulu étouffer le fils sur son coeur dans sa colère, mais elle aussi, elle dissimula. Elle promit au duc du Maine de quitter Versailles. Peut-être croyait-elle que son fils lui donnait un bon conseil sans le vouloir ; elle ne désespérait pas encore de voir le Roi revenir si elle fuyait. »
Et elle s’enfuit : elle partit « en furie et en larmes », dit Saint-Simon, cacher son désespoir à Paris, elle se retira au couvent des dames de Saint-Joseph qu’elle entretenait depuis longtemps de ses deniers et dans lequel elle avait déjà effectué quelques pieux séjours.
Le grand départ eut lieu le 15 mars 1691. Ce matin-là, elle avait visité Bossuet :
— Vous pouvez maintenant prononcer mon oraison funèbre {51} .
— Oui, Madame la Marquise, le Roi ne vous aime plus.
Après onze ans d’hésitation, la grande résolution était prise. « On se hâta de faire démeubler son appartement » que l’on donna
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