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Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Titel: Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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village.
    De grands cris s’entendirent alors au
loin ; des coups de fusil partirent de l’autre côté ;
mais on ne voyait rien, et le commandant donna l’ordre de la
retraite.
    Je vis ces Républicains défiler devant chez
nous d’un pas lent et ferme, les yeux étincelants, les baïonnettes
rouges, les mains noires, les joues creuses. Deux tambours
marchaient derrière sans battre ; le petit que j’avais vu
dormir sous notre hangar s’y trouvait ; il avait sa caisse sur
l’épaule et le dos plié pour marcher ; de grosses larmes
coulaient sur ses joues rondes, noircies par la fumée de la
poudre ; son camarade lui disait : « Allons, petit
Jean, du courage ! » Mais il n’avait pas l’air
d’entendre. Horatius Coclès avait disparu et la cantinière aussi.
Je suivis cette troupe des yeux jusqu’au détour de la rue.
    Depuis quelques instants le tocsin de la
maison commune sonnait, et tout au loin on entendait des voix
mélancoliques crier : « Au feu ! au
feu ! »
    Je regardai vers la barricade des
Républicains ; le feu avait gagné les maisons et montait
jusque dans le ciel ; de l’autre côté, un frémissement d’armes
remplissait la rue, et déjà, sur les maisons voisines, de longues
piques noires sortaient des lucarnes pour renverser l’échafaudage
de l’incendie.

IV
     
    Après le départ des Républicains, il se passa
bien encore un quart d’heure avant que personne ne se montrât de
notre côté dans la rue. Toutes les maisons semblaient abandonnées.
De l’autre côté de la barricade, le tumulte augmentait ; les
cris des gens : « Au feu ! au feu ! » se
prolongeaient d’une façon lugubre.
    J’étais sorti sous le hangar, épouvanté de
l’incendie. Rien ne bougeait ; on n’entendait que le
pétillement du feu et les soupirs d’un blessé assis contre le mur
de notre étable ; il avait une balle dans les reins, et
s’appuyait sur les deux mains pour se tenir droit : c’était un
Croate ; il me regardait avec des yeux terribles et
désespérés. Un peu plus loin, un cheval, couché sur le flanc,
balançait sa tête au bout de son long cou, comme un pendule.
    Et comme j’étais là, pensant que ces Français
devaient être de fameux brigands, pour nous brûler sans aucune
raison, un faible bruit se fit entendre derrière moi ; je me
retournai, et je vis dans l’ombre du hangar, sous les brindilles de
paille tombant des poutres, la porte de la grange entrouverte, et
derrière, la figure pâle de notre voisin Spick, les yeux
écarquillés. Il avançait la tête doucement et prêtait
l’oreille ; puis, s’étant convaincu que les Républicains
venaient de battre en retraite, il s’élança dehors en brandissant
sa hache comme un furieux, et criant :
    – Où sont-ils, ces gueux ? où
sont-ils, que je les extermine tous !
    – Ah ! lui dis-je, ils sont
partis ; mais, en courant, vous pouvez encore les rattraper au
bout du village.
    Alors il me regarda d’un œil louche, et,
voyant que j’étais sans malice, il courut au feu.
    D’autres portes s’ouvraient au même
instant ; des hommes et des femmes sortaient, regardaient,
puis levaient les mains au ciel, en criant : « Qu’ils
soient maudits ! qu’ils soient maudits ! » Et chacun
se dépêchait d’aller prendre son baquet pour éteindre le feu.
    La fontaine fut bientôt encombrée de
monde ; il n’y avait plus assez de place autour ; on
formait la chaîne des deux côtés, jusque dans les allées des
maisons menacées. Quelques soldats, debout sur les toits, versaient
l’eau dans la flamme ; mais tout ce qu’on put faire, ce fut de
préserver les maisons voisines. Vers onze heures, une gerbe de feu
bleuâtre monta jusqu’au ciel : dans le nombre des voitures
entassées, se trouvait la charrette de la cantinière ; ses
deux tonnes d’eau-de-vie venaient d’éclater.
    L’oncle Jacob était aussi dans la chaîne, de
l’autre côté, sous la garde des sentinelles autrichiennes ; il
parvint cependant à s’échapper en traversant une cour et rentra
chez nous par les jardins.
    – Seigneur Dieu ! s’écria-t-il,
Fritzel est sauvé !
    Je vis en cette circonstance qu’il m’aimait
beaucoup, car il m’embrassa en me demandant :
    – Où donc étais-tu, pauvre
enfant ?
    – À la fenêtre, lui dis-je.
    Alors il devint tout pâle et
s’écria :
    – Lisbeth ! Lisbeth !
    Mais elle ne répondit pas, et même il nous fut
impossible de la trouver ; nous allions

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