Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
aussi
sortir des généraux de la race des paysans, et ceux-là ne sont pas
les plus mauvais, car ils le sont devenus par leur propre valeur.
Ces Républicains, qui vous paraissent si bêtes, ont quelquefois de
bonnes idées tout de même ; par exemple, d’établir chez eux
que le premier venu pourra devenir feld-maréchal, pourvu qu’il en
ait le courage et la capacité ; de cette façon, tous les
soldats se battent comme de véritables enragés ; ils tiennent
dans leurs rangs comme des clous et marchent en avant comme des
boulets, parce qu’ils ont la chance de monter en grade s’ils se
distinguent, de devenir capitaine, colonel ou général. Les
Allemands se battent maintenant pour avoir des maîtres, et les
Français se battent pour s’en débarrasser, ce qui fait encore une
grande différence. Je les ai regardés de la fenêtre du père Diemer,
au premier étage, en face de la fontaine, pendant les deux charges
des Croates et des uhlans, des charges magnifiques ; eh bien,
cela m’a beaucoup étonné, monsieur Richter, de voir comme ces
jacobins ont supporté ça ! Et leur commandant m’a fait un
véritable plaisir, avec sa grosse figure de paysan lorrain et ses
petits yeux de sanglier. Il n’était pas aussi bien habillé qu’un
major prussien, mais il se tenait aussi tranquille sur son cheval
que si on lui avait joué un air de clarinette. Finalement, ils se
sont tous retirés, c’est vrai, mais ils avaient une division sur le
dos, et n’ont laissé que les fusils et les gibernes des morts sur
la place. Avec des soldats pareils, croyez-moi, monsieur Richter,
il y a de la ressource. Les vieilles races guerrières sont bonnes,
mais les jeunes poussent au-dessous, comme les petits chênes sous
les grands, et quand les vieux pourrissent, ceux-là les remplacent.
Je ne crois donc pas que les Républicains se sauvent comme vous le
dites ; ce sont déjà de fameux soldats, et s’il leur vient un
général ou deux, gare ! Et prenez bien garde que ce n’est pas
impossible du tout, car, entre douze ou quinze cent mille paysans,
il y a plus de choix qu’entre dix ou douze mille nobles ; la
race n’est peut-être pas aussi fine, mais elle est plus solide.
Le vieux Schmitt reprit alors haleine un
instant, et comme tout le monde l’écoutait, il ajouta :
– Tenez, moi, par exemple, si j’avais eu
le bonheur de naître dans un pays pareil, est-ce que vous croyez
que je me serais contenté d’être Adam Schmitt, sergent de
grenadiers, avec cent florins de pension, six blessures et quinze
campagnes ? Non, non, ôtez-vous cette idée de la tête ;
je serais le commandant, le colonel ou le général Schmitt, avec une
bonne retraite de deux mille thalers, ou bien mes os dormiraient
depuis longtemps quelque part. Quand le courage mène à tout, on a
du courage, et quand il ne sert qu’à devenir sergent et à faire
avancer les nobles en grade, chacun garde sa peau.
– Et l’instruction ! s’écria
Richter, vous comptez donc l’instruction pour rien, vous ?
Est-ce qu’un homme qui ne sait pas lire vaut un duc de Brunswick
qui sait tout ?
Alors Koffel, se retournant, dit d’un air
calme :
– C’est juste, monsieur Richter,
l’instruction fait la moitié de l’homme, et peut-être les trois
quarts. Voilà pourquoi ces Républicains se battent jusqu’à la
mort ; ils veulent que leurs fils reçoivent de l’instruction
aussi bien que les nobles. C’est le manque d’instruction qui fait
la mauvaise conduite et la misère, la misère fait les mauvaises
tentations, et les mauvaises tentations amènent tous les vices. Le
plus grand crime de ceux qui gouvernent dans ce bas monde, c’est de
refuser l’instruction aux misérables, afin que leurs races nobles
soient toujours au-dessus ; c’est comme s’ils crevaient les
yeux des hommes, lorsqu’ils viennent au monde, pour profiter de
leur travail. Dieu vengera ces fautes, monsieur Richter, car il est
juste. Et si les Républicains versent leur sang, comme ils le
disent, pour que cela n’arrive plus sur la terre, tous les hommes
religieux qui croient à la vie éternelle doivent les approuver.
Ainsi parla Koffel, disant que si ses parents
avaient pu le faire instruire, au lieu d’être un pauvre diable, il
aurait peut-être fait honneur à Anstatt et serait devenu quelque
chose d’utile. Chacun pensait comme lui, et plusieurs se disaient
entre eux : « Que serions-nous si l’on nous avait
instruits ? Est-ce que nous étions
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