Mademoiselle
poltrons de sa femme et retirer ses hommes de l'armée du roi. Sa rupture avec Mazarin et son rapprochement avec Condé étaient désormais patents. Ravie, sa fille lui emboîta allègrement le pas.
Le mardi gras, elle offrit à ses amis un spectacle de marionnettes. Le clou en était la marionnette qui, reconnaissable à son accent italien et à la fourberie de son maintien, caricaturait Mazarin. Rayonnante, la jeune fille portait ce jour-là une splendide toilette de velours bleu dont le corsage était tellement brodé et rebrodé d'or que l'on n'en distinguait plus la couleur. Elle s'enflamma contre Son Éminence, ranima les ardeurs de son père, et fit servir tant de vin de Bourgogne que, contrairement aux habitudes, les dames s'enivrèrent en public, Mademoiselle la première. On en parla.
Allongée dans son lit, le soir des Rameaux, la jeune fille repensait à cette fête. Elle se sentait ivre encore, mais d'une autre ivresse, celle de la gloire à venir, du pouvoir.
Elle se remémora les semaines passées. La guerre, toujours, au-dedans et au-dehors. Les villes que l'armée du roi devait prendre de haute lutte pour courir après Condé. La reconquête de Saintes et de La Rochelle. Et, d'autre part, l'avance des ennemis qui passaient la Seine à Mantes, menaçant la capitale. La nécessité pour Mazarin de rebrousser chemin depuis Tours pour protéger Paris.
Et donc la nécessité pour lui de traverser Orléans, une possession de Gaston.
Une aubaine pour le parti des princes, car les Orléanais hostiles au cardinal voulaient lui fermer leur ville. Le comte de Fiesque, qui en était revenu la veille, l'avait confirmé à Gaston.
— Il faut que Votre Altesse aille en toute hâte à Orléans conforter les habitants dans leur résolution. Songez à la position stratégique de la cité. En empêchant le Mazarin et l'armée royale de passer la Loire, vous rendrez un immense service au prince de Condé.
Gaston s'affola. Il n'était pas l'homme des prises de position claires. Soutenir Condé ? Oui. De là à barrer la route au roi, son neveu... Il décida que sa fille irait à Orléans à sa place. Un geste vis-à-vis de Condé. Mais un geste qui n'engageait à rien. Que pourrait faire Mademoiselle là-bas ?
Elle pensait faire beaucoup. C'était sa chance. Ce dimanche soir, à la veille de son départ, elle frémissait d'impatience. Si elle réussissait, si à Orléans elle tenait la dragée haute au cardinal et à sa tante, elle serait en position de force. Elle l'aurait, son petit mari, elle serait la reine.
Déjà, elle avait déclare à la Palatine ne plus avoir besoin de ses services. L'argent qu'elle lui réclamait sans cesse serait mieux employé à renforcer l'armée de Gaston et à faire la guerre au Mazarin. C'était un moyen plus sûr de coiffer la couronne de France.
Tout ce dimanche-là, chez son père, elle avait entendu les ennemis du cardinal la flatter.
— Il n'y a que vous qui puissiez agir à Orléans et fermer la Loire à l'armée du Mazarin. Voici une belle action à faire. Elle vous sera avantageuse.
— Et combien Monsieur le Prince vous en seraobligé. Ses amis vous serviront. Lui-même vous voit reine de France.
Et tous de le répéter. Puisque Condé l'avait dit... Même Retz, promu cardinal depuis un mois et malicieux comme un diable, s'abstenait de trop se gausser de l'équipée de cette nouvelle Jeanne d'Arc !
Quant à Gaston, il était nerveux. Il restait à Paris pour ne pas mécontenter sa femme, mais il se sentait honteux de jeter sa fille dans la guerre. À sa place ! Il aurait voulu se réfugier dans l'un de ses châteaux, Blois de préférence, et ne plus avoir à se mêler de politique.
Avant de partir, Anne-Louise ne manqua pas de faire ses dévotions aux Dominicains de la rue Saint-Honoré. Le gros père Georges, qui y prêchait, citait abondamment Ambroise et Chrysostome, mais s'échauffait aussi la gorge contre le Mazarin. Un réconfort.
En secret, elle s'était rassurée aussi de voir soulignée dans son agenda la date prochaine du 27 mars. Elle avait rencontré chez sa belle-mère, qui le consultait fort, un célèbre astrologue. Il lui avait prédit : « Vous ferez ce jour-là une action extraordinaire. » Sans y croire beaucoup, elle avait noté la date. Comment savoir ?
Donc, le lundi saint 25, vers trois heures de l'après-midi, Anne-Louise monta en carrosse dans la cour du Luxembourg, suivie de ses dames Fiesque et Frontenac, du duc de Rohan
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